Pour qui ne connaît pas (encore) le travail du peintre Jérôme
Delépine, ce livre est plus que précieux. Lionel Bourg dit ce qui
l’attire dans le parcours de l’artiste en s’appliquant à bien cerner sa
démarche. Il débute par les portraits étranges et inquiets de jeunes
enfants (puis d’adultes esseulés) peints en s’inspirant de vieilles
photos de famille.
« Des gamins (…) émergent, qui se frottent les prunelles, captifs
d’une stupeur d’autant plus carcérale qu’elle obéit à sa conscience
végétative. »
Il y a dans le regard de ces êtres étonnés, égarés et mélancoliques, une réelle proximité avec les reclus chers à Jean Rustin. Lionel Bourg souligne ces affinités tout en notant ce qui s’avère unique ici. Jérôme Delépine
n’a qu’un œil valide. Et encore : deux petits dixièmes font que sa vue
se trouble rapidement, lui offrant un champ de vision rétréci. Ceci
explique en partie le halo lumineux toujours un peu flou qui apparaît
derrière ses portraits et ses paysages, ces lieux qui semblent flotter
dans une clarté pâle où prennent place arbres, terres bosselées, ciels
tourmentés, feux lointains et silhouettes perdues. Un monde fascinant vu
(prolongé et imaginé) par le regard blessé d’un peintre qui œuvre sans
discontinuer.
« Jérôme Delépine n’en fait pas mystère : "Je, c’est celui que je cherche en moi, celui dont je porte la mémoire". »
Et si cette recherche passe par le travail et la création, elle passe
également par les autres, et tout particulièrement par les grands
peintres que cet autodidacte considère comme ses maîtres : le Caravage,
Turner, Rembrand. Lionel Bourg y ajoute, fort à propos, de nombreux
autres, qui vont des fresquistes de Lascaux à Paul Rebeyrolle en
passant par Goya, Bacon, Munch ou Fautrier, qui, eux aussi, et de tous
temps, « n’ont brossé que ça : de l’inaudible, des corps dépenaillés,
des délabrements, des apothéoses, des vertiges. »
Circulant de toile en toile, glissant dans les méandres, y trouvant
autant de fraîcheur que d’incandescence, s’appuyant régulièrement sur
son itinéraire, sur ses découvertes et ses émotions, Lionel Bourg
explique aussi comment ces lavis couverts de givre, « ces mousselines
pailletées de pollen », ces éclats constellés de perles, ont le don de
réveiller en lui une grande part de nord.
« Nord des marées en loques remontant les estuaires jusqu’aux
confluences hanséatiques des épices et des thés de Chine. Nord des
trafiquants. Des diamants. Nord du délire, des pierres de folie dans les
boîtes crâniennes.
Nord d’Ostende à Dunkerque, où je crus pouvoir lapider le ciel.
Nord d’un cri qui résonne toujours. »
Nord d’Ostende à Dunkerque, où je crus pouvoir lapider le ciel.
Nord d’un cri qui résonne toujours. »
Nord vers lequel se dirigent inexorablement le peintre et l’écrivain,
chacun à sa manière, tous deux nomades, avançant en se référant à la
plus précieuse des boussoles : celle dont le magnétisme se trouve
directement relié à leur propre mémoire.
Lionel Bourg : Un nord en moi, peintures de Jérôme Delépine, éditions Le Réalgar
Lionel Bourg : Un nord en moi, peintures de Jérôme Delépine, éditions Le Réalgar
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