Arrêté par la Gestapo en 1944 et déporté au camp de Dora, François Le
Lionnais (cofondateur avec Raymond Queneau de l’Oulipo) a auparavant
résisté en sabotant le système de guidage des missiles qu’il était
chargé de construire. Incarcéré, il lui faudra résister différemment. Et
d’abord sauver son intégrité physique et mentale qui s’affaiblit de
jour en jour. Le salut viendra de la peinture, le déclic ayant lieu un
matin, lors d’une fouille générale sur la place d’appel où il se
trouvait avec des milliers d’autres.
« Mon regard se porta machinalement sur la colline qui s’élevait du
côté de l’infirmerie. L’automne y achevait son établissement. Alors ces
grands arbres dépouillés fondirent sur moi sans crier gare et
m’emportèrent avec eux. L’Enfer de Dora se métamorphosa subitement en un
Breughel dont je devins l’hôte. »
C’est une démarche salvatrice, partagée un temps avec un autre
détenu, puis poursuivie seul, qu’il évoque en quelques dizaines de pages
dans ce texte rare. Chaque jour, il se met à décrire minutieusement,
pendant la durée de l’appel, autrement dit pendant des heures, s’en
remettant à sa mémoire, plusieurs des tableaux devant lesquels il aimait
s’arrêter au Louvre.
« C’est ainsi que nous contemplâmes longuement avec les yeux de la pensée La Vierge au Chancelier Rollin
de Van Eyck. Je projetais comme avec une lanterne magique le sévère
regard du donateur, les lapins écrasés sous les colonnes, l’ivresse de
Noé racontée sous un chapiteau, les petites touffes d’herbe qui poussent
entre les pavés de la courette et les six marches de l’escalier qui
conduit à la terrasse. »
Plus tard, quand son ami changea d’équipe, il alla plus loin encore,
imaginant ses propres compositions en empruntant un détail d’un tableau
pour le glisser dans un autre, faisant entrer, par exemple, un chevreuil
de Courbet dans un sous-bois de Théodore Rousseau, ou subtilisant la
pipe de Chardin pour « la dissimuler sous le coussin de La Dentellière de Vermeer ».
« Ainsi passèrent pour moi les jours à Dora, au milieu des
interminables appels dans la neige et du vent froid de l’hiver. (…)
Quelques semaines avant la libération, j’avais récupéré suffisamment
d’élasticité intérieure pour pouvoir me livrer de nouveau à l’un de mes
anciens vices : la Peinture mentale. »
La Peinture à Dora est un témoignage prenant. Nourri par la
mémoire et l’abstraction, il est d’une grande lucidité. La publication
du texte est suivie, en fin d’ouvrage, de détails des œuvres citées.
François Le Lionnais : La Peinture à Dora (Le Nouvel Attila).
La biographie de François Le Lionnais (1901-1984), Le Disparate, conçue par Olivier Salon, est simultanément publiée chez le même éditeur.
La biographie de François Le Lionnais (1901-1984), Le Disparate, conçue par Olivier Salon, est simultanément publiée chez le même éditeur.
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