Il y a beaucoup à dire de Copiteau. Le village n’est pas grand mais il
s’y déroule des choses étranges. D’abord, il y a les trois frères
Goussaint (deux petites frappes et un apprenti poète) qui, non contents
de laisser leur père mourir allongé sur une botte de paille dans
l’étable, – ils étaient ce jour-là préoccupés par le sort d’une vache
qui devait vêler – passent leur temps libre à tendre un filin d’acier
sur la route en espérant provoquer un accident. Après chaque mauvais
coup, on les embarque à l’asile, où ils s’amusent comme des fous,
profitant de la torpeur de Caroline, une autre patiente, placée là par
sa mère (qui ne peut plus la voir), pour satisfaire leurs envies
sexuelles.
« Les soirs où Patrick et Robert s’occupent d’elle, ils volent des
cachets et les lui font avaler de force pour la calmer. Ils aiment bien
qu’elle se débatte, mais pour la travailler mieux ils préfèrent qu’elle
soit abandonnée. »
Ensuite, il y a Puiseux, le notaire. Il vit seul avec sa servante,
lit Chateaubriand, caresse une statue en bronze, s’envoie en l’air de
temps à autre avec la femme d’un vieux médecin (la mère de Caroline)
avant de reprendre sa lecture là où il l’avait laissée.
« Édouard s’approche d’Agathe, ose cette expérience nouvelle, lire du
Chateaubriand en bandant. La cerise sur le gâteau, la poire pour la
soif, le spasme retardé de la jouissance. Mais auparavant il plonge ses
yeux noirs dans ceux d’Agathe, à travers les verres sales de ses
lunettes. »
Et puis il y a Jeanne qui rêve d’Amérique, le maire qui boit beaucoup
et qui ne se remet pas de la mort accidentelle de son frère jumeau, la
veuve Goussaint qui fait du camping dans un abri-bus, Constant qui
s’habille en shérif et quelques autres qui tentent de détourner leur
ennui et leur misère affective comme ils peuvent.
Tous forment une petite communauté bien frappée que Clotilde Escalle
détaille avec finesse. Son sens de la narration, sa façon de concevoir
de redoutables portraits et son écriture, rapide et incisive, y sont
pour beaucoup. Ces êtres en marge, qu’elle suit à la trace, sont
inextricablement liés les uns aux autres. Leurs rapports ambigus sont
rarement désintéressés. Ils fonctionnent à l’instinct, sans affects
apparents, guidés d’abord par des pulsions qui les prennent au corps.
« Gabrielle rajuste ses bas. Ils grimpent haut sur la cuisse, bien
trop haut, elle s’est trompée de taille. Aujourd’hui, elle ne porte pas
de culotte. Quarante-cinq ans, amoureuse du notaire, son Maître, elle sa
bonne à tout faire, on appelle ça plutôt gouvernante. Quarante-cinq
ans. Le désir ruisselle sur ses cuisses tandis que le civet de lapin
mijote. »
Les personnages de Clotilde Escalle ne sont pas nécessairement
sympathiques. Dépourvus de générosité, ils restent prisonniers de leurs
faits et gestes, condamnés à les répéter et à demeurer insatisfaits.
Mais pas question pour elle de s’apitoyer sur leur sort, ce qui leur
arrive résultant presque toujours de leur caractère impulsif.
Clotilde Escalle : Mangés par la terre, Les éditions du Sonneur.
Clotilde Escalle : Mangés par la terre, Les éditions du Sonneur.
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