Si Jérôme Lafargue excelle dans la fiction, il n’en reste pas moins,
comme tout un chacun, relié – par son vécu, ses racines, sa mémoire – à
une réalité qui parfois le rattrape, demandant elle aussi sa part
d’écriture. C’est celle-ci qui le guide ici, faisant resurgir une
histoire personnelle qui se passe dans un coin secret des Landes, entre
pins maritimes, dunes mouvantes et océan Atlantique.
« Il n’y a que l’eau et les arbres, et partout autour de soi, cette
immense pinède qui virevolte le long de collines dunaires, abritant de
minuscules étangs, des chênaies, des aulnaies pour qui sait se perdre et
accepter l’embuscade de vénérables dont le tronc s’est raviné, torsadé
sous le feu des âges. »
Il prend son temps. Suit ce chemin qu’il connaît bien et qu’il a
jadis arpenté en compagnie de son chien. Il s’arrête sur le décor et sur
l’étrangeté des lieux avant d’entrer dans le vif du sujet. Ce qu’il a à
dire n’est pas simple. Cela est enfoui en lui depuis longtemps et lui
rappelle inévitablement son père, puisque c’est là, dans une clairière,
qu’il a, en compagnie de sa mère, répandu ses cendres.
« Pourquoi cet endroit ? Parce qu’il aimait s’y attarder, même s’y
asseoir quelques instants. Et parce qu’à ma gauche en regardant l’océan,
à quelques mètres vers le sud, s’est tenu un événement qui, sans aucun
doute, a modifié ma perception de moi-même et des autres. »
Ce qu’il tient à souligner, c’est le désarroi qui fut le sien quand
il dut courir dans les bois, un soir entre chien et loup, à la recherche
de ce père en cavale, en se demandant s’il le retrouverait vivant ou
mort. Celui-ci souffrait de dépression chronique et avait, après une
énième dispute, brusquement quitté la maison en emportant un vieux
pistolet.
« Je partis bille en tête et rejoignis le chemin. Je ne voyais pas
d’autre possibilité. Nous prenions toujours par là. À mesure que je
gravissais la première pente qui conduisait au pare-feu, je maudissais
mon père d’avoir choisi de se donner la mort dans notre forêt. Ma
forêt. »
Il le retrouvera, vivant mais secoué, planqué derrière un buisson de
genêts, l’arme pendant au bout de son bras. Ce qu’il ne fit pas ce
soir-là, il le fera – exténué, vaincu par l’insidieuse maladie – quinze
ans plus tard. C’est ce parcours ardu, ce retour sur des faits lourds
de conséquence, avec en toile de fond un paysage qui hante la plupart
de ses romans, que Jérôme Lafargue
retrace dans ce récit. Il le fait sans pathos. Ouvrant son texte sur la
mémoire d’un lieu détenteur de nombreuses histoires. Dont la sienne.
Qui y est désormais gravée.
Jérôme Lafargue : Un souffle sauvage, préface de Martine Laval, les éditions du Sonneur.
Jérôme Lafargue vient de publier Au centuple, éditions de L’Attente, cent textes composés de cent mots chacun.
Jérôme Lafargue vient de publier Au centuple, éditions de L’Attente, cent textes composés de cent mots chacun.
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