Si L’os quotidien reste le dernier
ouvrage publié de Gaston Criel, il est également celui qui offre une
porte d’entrée idéale pour pénétrer dans l’œuvre de cet écrivain encore
trop peu connu. Il faut dire que le poète, qui édita ses premiers textes
avant-guerre, ne s’est jamais vraiment soucié de notoriété. Essayer de
joindre les deux bouts, vivre au jour le jour en multipliant les petits
boulots – ou survivre quand il se retrouva prisonnier en Allemagne
entre 1940 et 1945 – lui suffisait amplement.
« On m’envoya au camp. J’étais perché au troisième d’une rangée de châlits, longue de cinquante mètres. Dans ces alvéoles, nous dormions à même le bois afin d’éviter la vermine qui ne nous évitait pas. »
C’est Robert Reynaud, son alter-ego, qu’il met ici en scène et qui raconte ce que fut sa vie durant un peu plus d’une décennie, de 1939 (date de sa mobilisation) jusqu’au début des années 50. Il revient grâce à lui, en mêlant étroitement fiction et autobiographie, sur quelques uns des faits qui marquèrent son parcours.
« Le train annonce le départ. Par grappes les hommes se pressent aux portières criant leurs adieux tandis que le convoi démarre lentement. »
La bande de novices un rien insouciants (« Hitler nous fait rire ! ») qui part vers le front va vite déchanter et devoir faire face à une réalité implacable. Robert et les autres sont rapidement faits prisonniers puis envoyés en camp de travail. Gaston Criel décrit le quotidien au stalag avec le tranchant qui le caractérise. Il y mêle rage et insolence, pointe la noirceur de l’âme humaine mais aussi la solidarité qui peut naître à l’improviste dans des situations extrêmes. Son texte est un flux d’une vivacité et d’une vitalité étonnantes. Il voit et perçoit tout. N’a pas besoin de grandes phrases pour le dire.
« La radio annonçait le débarquement. D’aucuns se voyaient déjà partis. C’était sans compter la ténacité outre-Rhin. Les Allemands se firent menaçants. Brisant les bons rapports, ils multiplièrent les rassemblements dans la neige, des heures durant... Il neigeait toujours mais l’aigle ne baissait pas la tête. La croix gammée hurlait sous la neige qui redoublait. »
Après un long, périlleux et, parfois, douloureux voyage retour, il découvre le Paris d’après-guerre, et tout particulièrement celui de Saint-Germain-des-Prés qui n’aura bientôt plus de secrets pour lui. Il multiplie les petits boulots et les aventures amoureuses jusqu’à ce que la paternité (« hasard d’un sperme égaré en zone dangereuse », note-t-il) vienne secouer sa vie de dilettante mélancolique, rebelle et solitaire. C’est un autre pan – et pas le plus reluisant – de la personnalité de Robert Reynaud qui apparaît alors. Criel n’épargne pas son personnage. Il le met en mauvaise posture. Le montre en train de se dérober, de s’esquiver, de longer les murs, de tenter de survivre en ne se déparant jamais de ce sourire un peu goguenard qui l’aide à se moquer de lui-même.
Gaston Criel (né en 1913 et décédé en 1990) a rencontré durant cette période de nombreuses personnalités connues. Il fut proche de Sartre (qui lui louait une chambre), de Prévert, de Vian, de Cocteau (dont il fut l’assistant sur le tournage de La Belle et la Bête et qui préfaça son livre Swing), de Gide (qui l’embaucha comme secrétaire), de Picabia, d’Eluard (qui, dès 1938, fit un accueil chaleureux à son premier recueil de poèmes), de Paulhan et de bien d’autres. Il connaît les lieux, les hommes et les nuits de ce quartier dont il parle. Celui-ci vibrait au son du jazz qui n’aura cessé de l’envoûter, qu’il vénérait et qui est présent jusque dans le tempo et les variations de son écriture. Ce sont ces années-là qui façonnent son œuvre littéraire. L’os quotidien en est la parfaite illustration.
Gaston Criel : L’os quotidien, Les éditions du Sonneur.
« On m’envoya au camp. J’étais perché au troisième d’une rangée de châlits, longue de cinquante mètres. Dans ces alvéoles, nous dormions à même le bois afin d’éviter la vermine qui ne nous évitait pas. »
C’est Robert Reynaud, son alter-ego, qu’il met ici en scène et qui raconte ce que fut sa vie durant un peu plus d’une décennie, de 1939 (date de sa mobilisation) jusqu’au début des années 50. Il revient grâce à lui, en mêlant étroitement fiction et autobiographie, sur quelques uns des faits qui marquèrent son parcours.
« Le train annonce le départ. Par grappes les hommes se pressent aux portières criant leurs adieux tandis que le convoi démarre lentement. »
La bande de novices un rien insouciants (« Hitler nous fait rire ! ») qui part vers le front va vite déchanter et devoir faire face à une réalité implacable. Robert et les autres sont rapidement faits prisonniers puis envoyés en camp de travail. Gaston Criel décrit le quotidien au stalag avec le tranchant qui le caractérise. Il y mêle rage et insolence, pointe la noirceur de l’âme humaine mais aussi la solidarité qui peut naître à l’improviste dans des situations extrêmes. Son texte est un flux d’une vivacité et d’une vitalité étonnantes. Il voit et perçoit tout. N’a pas besoin de grandes phrases pour le dire.
« La radio annonçait le débarquement. D’aucuns se voyaient déjà partis. C’était sans compter la ténacité outre-Rhin. Les Allemands se firent menaçants. Brisant les bons rapports, ils multiplièrent les rassemblements dans la neige, des heures durant... Il neigeait toujours mais l’aigle ne baissait pas la tête. La croix gammée hurlait sous la neige qui redoublait. »
Après un long, périlleux et, parfois, douloureux voyage retour, il découvre le Paris d’après-guerre, et tout particulièrement celui de Saint-Germain-des-Prés qui n’aura bientôt plus de secrets pour lui. Il multiplie les petits boulots et les aventures amoureuses jusqu’à ce que la paternité (« hasard d’un sperme égaré en zone dangereuse », note-t-il) vienne secouer sa vie de dilettante mélancolique, rebelle et solitaire. C’est un autre pan – et pas le plus reluisant – de la personnalité de Robert Reynaud qui apparaît alors. Criel n’épargne pas son personnage. Il le met en mauvaise posture. Le montre en train de se dérober, de s’esquiver, de longer les murs, de tenter de survivre en ne se déparant jamais de ce sourire un peu goguenard qui l’aide à se moquer de lui-même.
Gaston Criel (né en 1913 et décédé en 1990) a rencontré durant cette période de nombreuses personnalités connues. Il fut proche de Sartre (qui lui louait une chambre), de Prévert, de Vian, de Cocteau (dont il fut l’assistant sur le tournage de La Belle et la Bête et qui préfaça son livre Swing), de Gide (qui l’embaucha comme secrétaire), de Picabia, d’Eluard (qui, dès 1938, fit un accueil chaleureux à son premier recueil de poèmes), de Paulhan et de bien d’autres. Il connaît les lieux, les hommes et les nuits de ce quartier dont il parle. Celui-ci vibrait au son du jazz qui n’aura cessé de l’envoûter, qu’il vénérait et qui est présent jusque dans le tempo et les variations de son écriture. Ce sont ces années-là qui façonnent son œuvre littéraire. L’os quotidien en est la parfaite illustration.
Gaston Criel : L’os quotidien, Les éditions du Sonneur.
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