Il fait si noir dans ses alentours qu’il se demande s’il n’est pas tout
simplement mort. Qui plus est d’un coup de lame bien effilée dans sa
chair. Il se rappelle vaguement du manche. Mais s’il s’en souvient,
c’est qu’il ne s’est pas tout à fait absenté du monde. Et ce d’autant
que d’autres souvenirs reviennent. Qui ont trait à l’enfance. À
« l’épicerie mercerie bureau de tabac journaux » que tenait le
grand-père. Aux doigts jaunis de celui-ci. Aux sucettes « Pierrot
Gourmand » qu’il lui offrait. Reste ce noir obsédant. Extinction totale
des feux. Qui signifie que s’il n’est pas encore mort, il est tout au
moins déjà agonisant.
« sombre.
il fait sombre, très, dans mes alentours
alentours potentiels puisqu’en réalité je n’y vois rien. Ne
fais que deviner. Ce qu’il y a. dans les dits alentours. »
il fait sombre, très, dans mes alentours
alentours potentiels puisqu’en réalité je n’y vois rien. Ne
fais que deviner. Ce qu’il y a. dans les dits alentours. »
Sa diction s’en trouve saccadée. Mais sa réflexion reste posée. Le
pré-mortem que Roger Lahu met ici en scène ne s’affole pas. Le réconfort
lui vient de ce passé qui semble vouloir revivre, par séquences
brèves, sur cet écran très noir qui ne diffuse ses images qu’en
intérieur absolu.
« c’est long mais on s’habitue finalement.
ce noir tout
ce noir
ça fait écran. »
ce noir tout
ce noir
ça fait écran. »
Partant de cette situation, pour le moins inconfortable, d’un mort
qui se demande s’il l’est vraiment, et qui parvient peu à peu à détecter
des indices qui se contredisent les uns les autres, Roger Lahu
concocte un subtil traité du noir. Il tourne autour de la couleur
fondamentale. Coincé dans ce sas qui lui fait penser à une « salle d’art
et décès », le narrateur ne peut s’empêcher de tuer le temps en pensant
aux bienfaits de cet entre-deux qui a des allures de clap de fin.
« parfois il semble que le noir pourrait s’écailler, se fendiller,
s’ouvrir, bailler,
comme une huître
et dedans il y aurait une énorme perle
une perle d’un noir si profond si parfait si absolu
qu’on aurait l’impression qu’elle avait – au terme de quelle alchimie de mille ans ? -
concentré en elle toute la lumière du monde.
s’ouvrir, bailler,
comme une huître
et dedans il y aurait une énorme perle
une perle d’un noir si profond si parfait si absolu
qu’on aurait l’impression qu’elle avait – au terme de quelle alchimie de mille ans ? -
concentré en elle toute la lumière du monde.
ça éblouirait »
Ce serait donc peut-être cela la fameuse petite lumière dont parlent
ceux qui reviennent d’une agonie ratée ? Lui, en tout cas, ne voit rien
venir. Ce qui lui permet de poursuivre sa longue aventure dans
l’outre-noir en se repassant un titre de Johnny h ou en écoutant Patti
Smith chanter Because the night avec en arrière-plan un type en motocyclette qui disparaît à toute allure sur un invisible ruban de bitume.
« on dirait que le héros tout de cuir vêtu
botté de noir aussi (marlon negro ?)
il chevaucherait une moto noire de grosse cylindrée
et il filerait filerait filerait
sur une route toute noire »
botté de noir aussi (marlon negro ?)
il chevaucherait une moto noire de grosse cylindrée
et il filerait filerait filerait
sur une route toute noire »
Roger Lahu : Petit traité du noir sans motocyclette (sauf une in extremis), préface de Daniel Fano, éditions Les carnets du Dessert de Lune.
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