Accueillies en résidence de février à mai 2018 à Plounéour-Ménez, au
cœur des monts d’Arrée, dans le Finistère, Caroline Cranskens et Élodie
Claeys, qui sont auteures et vidéastes, parcourent les lieux, vont à
la rencontre, écrivent, enregistrent, photographient et filment en
prenant le temps de se poser et en étant toujours à l’écoute de ce que
les habitants ont à leur dire. Elles s’immergent dans un territoire qui
leur était jusqu’alors inconnu tout en gardant les yeux ouverts sur le
vaste monde.
« Où commencent, où s’arrêtent une vie, un lieu ? À soi, à sa maison,
à sa famille, à sa ville ou à son village, à ses connaissances, à sa
région, à son pays, à son monde ou au monde, à l’univers, à l’infini ?
Prenons un globe terrestre dans les mains, branchons-le à la place du
grille-pain, éteignons la lumière. Faisons tourbillonner la sphère. »
Les monts d’Arrée sont évidemment peu visibles sur celle-ci. Cela
n’empêche pas leurs 192 000 hectares d’avoir une longue histoire. Ils
appartiennent à l’ancien massif armoricain. Le relief est escarpé. On
passe constamment de crêtes en ravins. Décor rude et bosselé. Des gens y
vivent, y travaillent. Ce sont eux qui les accueillent dans leur
maison ou dans leur ferme ou qu’elles croisent (au Café des brumes, Au Crépuscule
(pizzeria) au Huelgoat, lors d’un fest-noz à Saint-Cadou ou dans un
café-librairie à Berrien. Tous ont besoin de s’exprimer. Il faut les
écouter, les interroger parfois. Ce sont encore eux (et elles) qui les
aident à mieux comprendre le quotidien en ces terres rugueuses, à la
mémoire ancestrale, où montagnes râpées, roches branlantes, chicots de
schistes, marais et landes dessinent un paysage qui paraît hors du
temps.
« Troupeaux d’astres tourbes folles
Au creux des monts
La pierre penchée
Vers la lumière
Toujours la même
Et qui meurt et se change
En ténèbres
L’œuvre des yeux »
Au creux des monts
La pierre penchée
Vers la lumière
Toujours la même
Et qui meurt et se change
En ténèbres
L’œuvre des yeux »
L’ouvrage qui naît de leur résidence est extraordinairement vivant.
Poèmes, photographies, journal de bord (écrit sous forme d’abécédaire
par Élodie Claeys), films ainsi que dessins et gravures d’Agnès Dubard
(qui est venue les rejoindre pendant quelques semaines) forment une
œuvre collective qui possède plusieurs portes d’entrée.
Le titre, Arabat, est un mot breton qui signifie « interdit »,
« ne pas » ou « défense de ». Il est inspiré de la poétesse et
paysanne de langue bretonne Angela Duval qui, en le choisissant pour
titre de l’un de ses poèmes (traduit par Paol Keineg), disait ne pas
vouloir évoquer dans ses vers son mal être et son amertume. Elle se
l’interdisait et entendait se battre en transmettant son énergie aux
autres sans jamais se morfondre. Elle vivait dans le présent, espérait
et luttait pour un avenir capable d’effacer « des siècles de honte ». On
retrouve le même esprit dans cet ensemble (superbement édité) qui
s’attache à rendre visibles, à l’écart des routes touristiques, de
nombreux îlots de résistance et zones à défendre habités par des êtres
qui veulent (et font tout pour) s’ouvrir et se relier aux autres.
Caroline Cranskens et Élodie Claeys : Arabat, dessins et gravures de Agnès Dubart, éditions Isabelle Sauvage.
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