C’est l’hiver dans les marais de Bohème. Le froid et la neige s’abattent
sur cette contrée de grande pauvreté. Mila et Macek y sont
« relégués », comme le fut jadis Karel Pecka (et beaucoup d’autres)
durant la période dite « de normalisation » qui suivit le printemps de
Prague en 1968. Ils sont chargés de pomper l’eau des marais et logent
dans une roulotte qu’ils déplacent de village en village. Leur vie est
austère et monotone jusqu’au jour où apparaît, sorti de nulle part, un
chien famélique dont les yeux ressemblent à ceux d’Alexandre Dubček,
l’homme qui tenta de créer « un socialisme à visage humain » en
Tchécoslovaquie avant d’être destitué et relégué, lui aussi, pendant
vingt ans, dans les couloirs sombres d’une fantomatique administration
forestière. C’est ce regard triste et malheureux qui incitent les deux
hommes à appeler le chien Sacha (diminutif d’Alexandre).
« J’observai le chien un moment ; il le sentit et leva vers moi ses
yeux, incertains et coupables, comme s’il avait fait quelque chose de
mal, comme s’il s’excusait d’être au monde. »
Ils s’attachent à Sacha. À cause de son regard défait bien sûr. Mais
aussi parce que son existence de paria et de chien errant s’apparente
étrangement à celle d’un homme (Dubček) en qui ils ont cru. Mila et
Macek finissent par adopter l’animal mal en point. Il va avec eux à
l’auberge. Il dort à l’entrée de la roulotte et bientôt dans une niche
qu’ils vont lui confectionner.
« Sacha flaira l’entrée de la niche avec méfiance, puis il se
retourna. Il me regardait, inclinant la tête d’un côté puis de l’autre.
Je compris que ce chien n’avait jamais eu de niche. »
En ces lieux, et à cette époque, le bien-être et le répit ne peuvent
être qu’éphémères. Les pompeurs d’eau le savent depuis longtemps et
vont à nouveau en faire la douloureuse expérience. Il y a dans les
environs des êtres qui n’aiment pas les chiens. Et d’autres qui,
affamés, sont amenés à les aimer autrement. Ce sont ces destins
tragiques, scellés par l’absurde et redoutable pouvoir en place, que
dévoile ici, en à peine quarante pages, le subtil et percutant Karel
Pecka (1928-1992).
Karel Pecka : Les yeux de Sacha, traduit du tchèque par Hana Barraud, préface de Marie-Hélène Prouteau, éditions Alidades.
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Il est bon de se promener dans le copieux catalogue des éditions Alidades, animées par Emmanuel Malherbet. On y découvre des pépites, des textes courts (et souvent bilingues) signés Alexandre Blok, Carlo Bordini, Hart Crane, Sergueï Essénine, Desmond Egan, John Montague ou encore Elena Schwarz que côtoient des poètes français très discrets tels Francis Coffinet, Adeline Olivier, Pierre Courtaud ou Luc Richer.
Il est bon de se promener dans le copieux catalogue des éditions Alidades, animées par Emmanuel Malherbet. On y découvre des pépites, des textes courts (et souvent bilingues) signés Alexandre Blok, Carlo Bordini, Hart Crane, Sergueï Essénine, Desmond Egan, John Montague ou encore Elena Schwarz que côtoient des poètes français très discrets tels Francis Coffinet, Adeline Olivier, Pierre Courtaud ou Luc Richer.
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