dimanche 4 avril 2021

Finir les restes

Il aurait aimé les voir vieillir encore, les accompagner dans leur grand âge mais la mort, implacable, en a décidé autrement, les emportant l’un après l’autre, à peu près de la même façon, le père, la mère, le laissant démuni, orphelin sur le tard, avec ses mots, ses lectures, ses réflexions pour continuer sans eux.

« Il n’y a pas eu de colère, se dit l’orphelin. Pas tout de suite.
D’abord une sorte de nudité. Car ce que m’ont légué les miens en disparaissant, c’est avant tout ma propre mort. »

C’est un cheminement jalonné de moments contrastés, ceux, plutôt réconfortants, qui le ramènent à son enfance côtoyant ceux, douloureux, qui lui rappellent la souffrance et la maladie que les siens ont enduré avant de mourir, qu’entreprend ici Frédéric Fiolof. Il le fait en progressant pas à pas, presque en aveugle, en s’interrogeant et en questionnant les autres.

« Je fais beaucoup de bruit, mes morts, avec tout ça. Je fais beaucoup de bruit ces derniers temps, avec ce grand trou que vous avez laissé en moi. »

Il ne s’agit pas pour lui de "faire" son deuil. D’autant que c’est plutôt celui-ci qui, désormais, le guide et le façonne. Il lui faut vivre avec. Et, à défaut de combler un vide, s’en accommoder. Il procède par étapes. D’abord comprendre ce qui lui arrive et l’écrire en ne sachant trop vers où aller mais y aller tout de même, se lâcher, dérouler ses pensées, noter ses sentiments (la colère succédant à la sidération), chercher à conjurer la mort, convoquer quelques auteurs, voir comment ils s’y sont pris pour naviguer sans dommages dans "cette zone de disparition". Il se remémore, pêle-mêle, une scène de La chambre du fils de Nanni Moretti, une séquence du livre L’or des rivières du poète Nimrod se rendant sur la tombe de son père au nord du Tchad, le silence d’Albert Camus devant la sépulture de son jeune père à Saint-Brieuc. Il se repasse des citations de Kafka, de Barthes, de Stendhal, de Rouaud, de Bobin, bercé par le roulement lancinant d’un train qui le mène de Paris à Nîmes. Il voyage en compagnie de l’urne rouge dans laquelle se trouvent les cendres de son père.

« Lorsqu’il arrive en gare, l’homme en colère sent sa gorge et ses poings se serrer. Il n’y a personne sur le quai de la gare. Il devait s’y attendre, pourtant. On ne peut pas être à la fois dans une urne funéraire et sur le quai de la gare de Nîmes. »

Ayant pris place à l’arrière d’un taxi, il poursuit sa route vers le village. En chemin, il glisse le long des vignes rases, dompte sa colère, modère ses plaintes, pense à sa mère. Qui, ayant passer sa vie à nourrir les autres, disait qu’il fallait toujours finir les restes, ne rien gaspiller, songer à ceux qui meurent de faim. Des fragments épars reviennent en désordre. Des voix à l’accent méridional se font entendre entre les pages. Signe que les disparus ne le sont pas totalement. Ils sont là, en pointillés, fragiles et présents, avec leur vie, leur mort, leurs peurs, leurs souvenirs finement entremêlés au cœur d’un récit nerveux et poignant qui leur est offert et qui n’existerait pas sans eux.

Frédéric Fiolof : Finir les restes, Quidam éditeur.

 

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