Ils sont quatre, différents et familiers, qui apprécient le contact avec la terre ferme sans pour autant négliger les escapades qui les poussent à fendre l’air pour changer régulièrement de place. Il y a le corbeau, l’aigrette, le cormoran et le héron gris. Marc Le Gros les présente à tour de rôle en débutant par celui qu’il considère comme « un personnage réel », ce qu’il est assurément. Il se prénomme Gérard. C’est un authentique "grand corbeau". Il l’a reçu en cadeau et a vécu d’intenses moments de complicité en sa compagnie.
« Tu as pris l’habitude
De sauter
Sur mon épaule de faire
Le geste d’aiguiser le bec à mes cheveux
Juste derrière l’oreille
J’écoute au fond de toi très loin
Des bruits anciens des
Notes de jeunes noyés qu’on remue
Comme un pauvre sac à musique qu’on
Ressasse touillant longtemps falaise
Et vases et ces paquets tremblants de
Mousse sale que la vague abandonne
Au plus haut des rochers »
Paysage aux neuf corbeaux, la suite de poèmes qui ouvre le livre, dédié à celui qui doit son prénom à Nerval, plonge le lecteur dans un monde subtil et vivant où chaque détail compte. Sitôt terminé cette section, Marc Le Gros raconte, dans un beau texte en prose, l’histoire de l’animal, "le crâne enfoncé dans son caban de nuit", qui fut arraché aux falaises du Conquet alors qu’il n’était encore que oisillon, et auquel il se devait, après l’avoir nourri et hébergé durant deux mois, de rendre son bien le plus précieux : la liberté.
« Un peu maladroit d’abord, et même franchement grotesque alors qu’il sautillait en se dandinant parmi les fleurs, il prit vite ses premiers envols, un peu aidé, avouons-le, car je dois dire que devant son peu d’allant, son peu de goût pour l’aventure et les joies du grand dehors, j’avais dû le lancer, exactement comme on fait d’un javelot de trait ou encore de cette manière dont on jetait autrefois les avions de papier qu’on découpait dans le journal. »
Vient ensuite l’aigrette. Il la fixe, suit son manège, ses mouvements délicats, la regarde fouiller dans l’eau, parfois dans la vase, tout étonné de surprendre sa légèreté naturelle, sa façon de toucher à peine le sol mouvant et l’application qu’elle met à garder son plumage étonnamment blanc.
« L’aigrette ne chante pas
son cri ne lui ressemble pas
rauque mat
tout l’envers du décor
c’est un très vieux pays traversé
d’impatiences
une mémoire trouée de gares mortes
et de maisons d’arrêt »
Marc Le Gros, requis par ses longues observations, n’en éprouve pas moins le besoin de bouger intérieurement, de se réserver une escapade de temps en temps. Les oiseaux, qui ont le don d’ouvrir sa mémoire, l’aident, à l’occasion, à satisfaire son désir de mobilité. Le héron gris qui soulève lentement ses ailes au moment de prendre son envol l’embarque ainsi au quart de tour.
« C’est incroyable
La lune chaque fois passe dans l’œil de l’oiseau
Et nos signes à nouveau sont à vif
Nos sangs sont comme les petits vins de Crète
Pleins de lumière
Et la nuit même ne se referme pas tout à fait »
Le cormoran, autre invité du halage, l’attire tout particulièrement. C’est un expert en mets délicats. Il fouille sans relâche. Il joue au ventriloque près des berges, ce qui n’échappe pas au guetteur discret qui connaît ses habitudes, son habitat préféré, son cri de ralliement, la précision de son bec, la profondeur de son gosier, la force de propulsion de ses ailes. Il le respecte et lui réserve, comme aux autres volatiles qu’il met en scène, en mots et en poèmes, quelques pages de ce livre précieux et fascinant où chacun des intervenants, chaque oiseau saisi en situation, a également droit à son portrait peint par Vonnick Caroff.
Marc Le Gros : Tétralogie des oiseaux du halage, peintures de Vonnick Caroff, EST (Samuel Tastet Éditeur).
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