« vingt-quatre avril, vingt heures dix-neuf, journée mangée
sans trace, un clou dans la main me dévisage, les semaines
claquent sans dire et me chassent, vingt-cinq avril, six
heures dix-neuf, à la fenêtre, passages rapides qu’on ne
sent plus, ciel bas plombe les branches, le bleu, les tôles
du Bon relais, cafetière vidée m’agace, sept heures
quarante-et-une, on dévale un degré, verts et blancs
soulevés moussent encore aux branches, le printemps
n’en finit de pousser pétales, paillettes et de toutes
petites sagaies, des fleurs ébouriffées par les passages »
Le temps s’égrène, ponctué d’instantanés que l’auteur happe au passage. Tous nourrissent un texte qui a également à voir avec sa façon de travailler dans l’atelier, patiemment, souffle tendu, le corps en alerte, face au blanc, au silence, à la toile. Il cadre un paysage, le décrit précisément, y ajoute ce qui bouge dedans, s’y inclut s’il le faut. Il ne recherche pas l’exceptionnel, c’est, au contraire, ce qui tient de l’ordinaire des jours (ses habitudes : se lever avant l’aube, aller s’approvisionner en bois, allumer le feu, regarder ce qui se passe au dehors, se mettre en route, s’activer jusqu’au soir) qui l’intéresse. Ces faits, apparemment anodins, se répètent, se renouvellent et s’emboîtent à d’autres, plus irréguliers. Parallèlement, s’ouvrent en lui des questionnements et des réflexions, nées en lecture d’un poète ou devant l’œuvre d’un peintre. Tout est collecté. Tout est bon (et probablement nécessaire) pour une mise à l’épreuve permanente de ce qu’il nomme ses « tentations de poète », tout, et surtout l’usage de la langue sur laquelle il travaille sans relâche, tirant ses vers au cordeau.
« H.L. se rappelle son fils porté dans un sac de toile bleue
("Le sac bleu sauve le sinistre retour bredouille")
comme si sa mémoire dans la mienne m’était sac à charrier
le bois, soir et matin, battant mon fémur sous les chairs
et les tissus, même battant tout court, frappant la cuisse
comme flatter l’encolure, comme s’il ne servait qu’à battre
et penser ce sac, et mes jambes, soudain mes jambes
deviennent membres ardents de la peinture mentale à présent »
Armand Dupuy déplie (mais resserre aussi) son texte au fil des jours et des mois. Il lui procure nervosité et densité, l’une étant due au rythme saccadé qui se met rapidement en place et l’autre à la multitude d’éléments de toutes sortes qui servent de matériau à l’ensemble. On le sent toujours en mouvement, curieux, étonné, actif du matin (très tôt) au soir (très tard), bien entouré, se déplaçant régulièrement, balayant du regard ce qui l’attire, rattrapé parfois même de nuit par des rêves qu’il lui faut, au réveil, filtrer et ciseler au plus juste pour les insérer dans son poème dynamique.
Armand Dupuy : Selfie lent, suivi de radiographies de Claire Combelles, éditions Faï fioc.
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