« s’éloigner d’une ferme d’élevage
s’éloigner d’une ferme laitière
même très loin
n’est pas y échapper »
Quand elle voit le jour, en 1986, tout est déjà en place. Le remembrement a fait son œuvre, supprimé les talus, coupé les haies, les arbres, agrandi les champs. Les tracteurs, de vrais mastodontes qui coûtent plus cher qu’un grand appartement en ville et leurs attelages rutilants vrombissent dans la campagne en mordant le bord des routes. Les pulvérisateurs arrosent de pesticides les parcelles cultivées. L’élevage intensif (dont celui du cochon roi) bat son plein. Le lisier caché sous terre roule aux rivières. Les poules ne sortent plus mais pondent deux œufs par jour. Les vaches laitières doivent produire selon les normes en vigueur et être nourries en conséquence.
« Après six vélages, le vache disparaît
l’abattoir assure sa traçabilité »
C’est au plus près de cette réalité, celle de l’agriculture intensive dans une région (la Bretagne) où l’agro-alimentaire s’est beaucoup développé, qu’Aurélie Olivier ancre ses poèmes. Tous sont reliés au travail, à la vie sociale, au quotidien, à ses à-cotés, festifs ou déprimants, à ses drames, ses dos courbés, ses corps abîmés. Le Christ en croix n’est jamais loin. Il veille au carrefour ou en miniature dans de nombreux foyers.
« Le privé fournit aux parents démunis
le cadrage de leur descendance
ils mettent le prix pour honorer
le catéchisme des générations
Dans la chapelle et la salle de classe
prêtres et directeurs se succèdent
les commandements commandos
propagent la parabole béate bébête »
C’est aux conséquences simples, souvent tues et acceptées à force de résignation, aux répercutions morales et physiques de ce modèle agricole imposé de force aux paysans d’après-guerre qu’elle se frotte. Beaucoup d’agriculteurs n’ont pu s’y faire. Certains ont dû vendre, D’autres se sont suicidés. D’autres encore sont morts prématurément, victimes des produits toxiques qu’ils répandaient sur leur terre. La plupart vivent à crédit.
Ce monde, pas facile et déconsidéré, ou magnifié par ceux qui n’y vivent pas, Aurélie Olivier le saisit avec ses mots, l’empoigne presque, en une suite de poèmes simples et efficaces qui frappent par leur concision et leur justesse. Parfois le corps se rebiffe, à la ferme ou ailleurs. Lui aussi se souvient et le fait savoir à sa manière.
« Malheureusement les résultats d’analyse sont formels,
j’ai surestimé ma stratégie : c’est un mélanome. On va
devoir faire une seconde opération à l’hôpital du cancer. »
Ce livre porte en lui une nécessité de dire, de décrire, de témoigner.
Aurélie Olivier : Mon corps de ferme, éditions du commun.
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