« Quand je sortis du ventre de ma mère, tout barbouillé de sang, humecté de salive et de sel, les tempes perforées des pinces du forceps qui se brisa entre les mains de l’accoucheur, mon grand-père, à cent lieues ce soir-là sur une départementale en lisière de Chauny, perdit de joie le contrôle de sa voiture à l’idée d’une filiation nouvelle. Deux agriculteurs le découvrirent le lendemain matin, dans le lait tiède d’un jour d’hiver,. »
Wilfrid est un excentrique de haute volée. Impossible de l’oublier quand on a côtoyé, enfant, un tel énergumène. Impossible également de le croire tout à fait mort. Il erre dans la maison et n’a rien d’un fantôme. Il assiste à l’inventaire et met un point d’honneur à apparaître là où on ne l’attend pas.
« Il s’est photographié devant la cheminée hermétique du salon, égyptien, hiératique, crevant de son pinceau la toile blanche, un pied en retrait, le buste décidé, ému en traversant l’écran de rosée qui le vitrifie. Portrait, autoportrait (au dos de la photo, il a écrit : Soi-même).
C’est un portrait littéraire, conçu par petites touches, et dans le désordre, au fil de ses souvenirs, que s’attache à construire Erik Bullot. Les facéties, les humeurs changeantes, les rêves éveillés et les contradictions assumées du grand-père traversent son roman. Il leur redonne vie en les déployant grâce à une écriture dense, fouillée et visuelle.
Ce grand-père picard, auquel le petit-fils offre un tombeau hors-normes, ne dort, ne meurt que d’un œil. L’autre, vif et attentionné, l’aide à regarder par dessus l’épaule de l’écrivain-narrateur (qu’il appelle "cadet") pour s’assurer de l’exactitude des faits relatés.
Plus la maison se vide et plus Wifrid, personnage attachant, y retrouve sa place. C’est lui qui mène la danse, lui qui bondit sur scène, lui qui demande à son petit-fils de ne surtout pas le portraiturer en vieux bonhomme.. Ses vœux, ce livre en atteste, ont été exaucés de la plus belle des manières.
Erik Bullot : Tombeau pour un excentrique, Quidam éditeur.
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