À sa mort, en 2012, Jean-Pierre Le Goff a laissé derrière lui un 
nombre considérable de textes inédits, parmi lesquels ceux qui 
constituent le second volet de ses "petits papiers", appelés aussi 
"feuilles volantes". Un premier volume, Le Cachet de la poste, 
couvrant la décennie 1989-1999, avait été publié chez Gallimard 
(collection l’Arbalète) en 2020. La part manquante, couvrant les années 
suivantes et s’arrêtant en juillet 2007, paraît aujourd’hui aux éditions
 Le Cadran ligné. Elle a été établie par Sylvain Tanquerel, qui signe 
également la postface de ce volume de près de 400 pages, à partir des 
archives du poète conservées à la Médiathèque des Capucins à Brest.
Pour pénétrer dans le monde foisonnant de Jean-Pierre Le Goff, il 
faut  d’abord se rendre disponible, se montrer sensible aux étrangetés 
des  paysages, aux objets imprévus qui attirent le regard, à la 
complicité des couleurs (notamment le rouge et le vert) qui se frôlent 
et s’amusent, être en capacité de s’émerveiller sur un nom de lieu et 
s’y transporter pour honorer et tenter de comprendre sa dénomination. 
Ces incitations à découvrir, à sonder, à arpenter des lieux 
particuliers, ces envies d’aller prendre l’air à Fécamp, à 
Trévou-Tréguignec, dans les Côtes d’Armor (où se trouve Port Le Goff), à
 Canisy, dans la Manche, près de la maison de Jean Follain, de se 
retrouver rue du Rendez-vous à Paris, au Pont Sublime au-dessus des 
gorges du Verdon ou à Sévérac-le-Château dans l’Aveyron pour  ajouter de
 l’imprévu et une bonne dose de rêves à son quotidien, Le Goff les 
partageait en postant ses « petits papiers » à quelques centaines de 
destinataires, tous aussi sensibles que lui aux intuitions nées des 
subtiles facéties du hasard. Les lettres-poèmes qu’il leur adressait –  
dans lesquelles il exposait sa démarche et ce qui la motivait – étaient 
autant d’invitations à l’accompagner pour assister à un acte poétique.
« Le mardi 16 octobre, à 19 heures, je passerai rue Larrey et devant 
l’entrée du 11, je poserai un poivron rouge et un poivron vert. Si vous 
voulez marquer l’arrêt avec moi, n’hésitez pas. Mon geste ne sera qu’un 
clin d’un œil au signe de la concordance dont Duchamp parle dans le premier paragraphe de la "Boîte verte". »
« Dans le cours de l’après-midi du samedi 11 janvier 2003, 
j’effectuerai une recherche de galets percés sur la plage de Fécamp, 
dans lesquels j’insérerai des messages. J’inviterai les personnes qui 
m’accompagneront à en faire de même si elles voient un intérêt à creuser
 le sens d’une pierre trouée. »
« Le jour de la Saint-Jean, le 24 juin 2003, j’irai réanimer les 
cendres du Loup qui s’est consumé dans le feu de la Saint-Jean en 
déposant à Jumièges un panneau sur lequel la ronde sera calligraphiée, 
le poème sera accompagné d’un masque que l’on appelle loup et qui sera 
vert.
(…) Qui voudrait entrer dans la légende par la petite porte est invité à m’accompagner... »
« Jean-Manuel Warnet m’avait raconté qu’au bord de la mer, à la 
pointe Monom à Plouguerneau, il y avait un rocher portant mon nom. Il 
m’y amena, d’autres conjonctions se sont manifestées. Aussi décidai-je 
d’intervenir, une seconde fois, à partir de ce rocher, d’autant plus 
qu’il avait une silhouette d’oiseau.
(…) Si le désir de flâner au bord de la mer vous agrée, accompagnez-moi 
le mardi 11 juillet 2006. Nous partirons de la pointe Monom à 16 
heures ».
Malicieux, Le Goff, détecteur de palindromes, rodant dans les parages
 du surréalisme, appréciant la numérologie et le lancer de dés, va là où
 ses songes et ses rêveries ont une chance de se matérialiser.  Il en 
profite – parvenu au lieu-dit "Ecoute-S’il-pleut", "Prends-y-garde" » ou
 "Passe-Vite" – pour   figer l’instant en le photographiant ou en 
demandant à d’autres de le faire. Nombre de ces photos sont reproduites 
dans le livre. Elles s’avèrent précieuses pour visualiser les sites et 
pour garder trace d’une intervention forcément éphémère.
Voici ce que disait Jacques Réda de ces "petits papiers" qu’il recevait régulièrement :
« Je regarde comme un privilège d’avoir été parmi les premiers 
destinataires des très discrets envois postaux où, dans des sortes de 
poèmes parfois aussi précis qu’un énoncé de problème d’arithmétique, 
Jean-Pierre Le Goff fait part de ses intentions et convie aux cérémonies
 à la fois bizarres et sans mystères qu’il organise. »
Jean-Pierre Le Goff a ses objets et ses couleurs fétiches. Ainsi 
a-t-il toujours une provision de perles à portée de mains. Il en sème ça
 et là, à Perles dans l’Aisne, bien sûr, ou dans le parc de la 
Perle-du-lac à Genève, où la présence des écureuils l’incite à les 
remplacer  par des noisettes.
Les couleurs rouges et vertes lui sont familières et ceci depuis 
l’enfance, quand il fut fasciné par la devanture d’une pharmacie où se 
trouvaient « d’une part et de l’autre de la porte d’entrée, une bonbonne
 d’un liquide rouge et une bonbonne d’un liquide vert ». Relisant Madame Bovary,
 il est étonné et tout heureux de découvrir qu’il y avait également des 
bocaux rouges et verts dans la pharmacie de M. Homais à Yonville. Ces 
coïncidences le mettent de bonne humeur. Il les aura recherchées sa vie 
durant, en aura trouvé une ribambelle (et pas seulement à Montrouge ou à
 Vauvert) et inventé beaucoup d’autres. Étincelantes, elles sont 
regroupées  dans ce volume, guide idéal pour qui souhaite se lancer sur 
les traces d’un auteur qui aura, simple hasard ou boucle imparablement 
bouclée, terminé ses pérégrinations en conviant les destinataires de ses
 missives à le rejoindre, le 31 juillet 2007, à Néant, devenu 
Néant-sur-Yvel, en forêt de Brocéliande, où repose Alphonse Guérin, 
poète et chirurgien, inventeur du pansement ouaté.
« Le fait qu’il fut enterré à Néant m’amena aussi à vouloir laisser 
sur la tombe une sorte de phylactère portant l’inscription : Nous Étions
 À  Notre Tombeau ».
Jean-Pierre Le Goff repose, quant à lui, dans le cimetière de Ploaré,
 sur la commune de Douarnenez, où quelques-unes de ses connaissances ne 
manquent probablement pas de faire halte, au retour d’une virée dans la 
baie, pour poser un acte poétique en mémoire de ce vaillant arpenteur 
qui s’est définitivement arrêté là.
Jean-Pierre Le Goff : Les Chemins de l’image, Petits Papiers 1999-2007, édition établie et postfacée par Sylvain Tanquerel, Le Cadran ligné.
Logo : Jean-Pierre Le Goff (15 février 1986) © Fanny Viollet