vendredi 22 août 2025

L'Homme à l'affiche

Après des années passées dans une usine de PVC, Ramon trouve enfin le travail qui lui convient. Il est chargé de surveiller les projecteurs d’un grand panneau publicitaire Coca-Cola installé en bordure de route. Il fait même d’une pierre deux coups en décidant d’habiter là-haut, à dix mètres du sol, dans la structure métallique qui soutient l’édifice.

« A l’aide d’un système de poulies de son invention, il déménagea de son appartement vers l’affiche en un temps record, trois, quatre heures pas plus. Une fois qu’il eut fini, il prononça des mots que lui seul entendit car là-haut, Ramon, non content de jouir d’une vision panoramique de la ville, se retrouvait tel qu’il le souhaitait : seul. »

Il logeait auparavant dans le bidonville ("le bidonville se compose d’une douzaine de bâtiments qui, vus de loin (…) ressemblent à d’énormes legos") avec sa femme Paulina, qui lui rend visite régulièrement, accompagné par leur neveu Miguel. C’est à travers le regard de ce gamin de onze ans que l’on va découvrir, au fil de chapitres brefs et incisifs, la personnalité de l’homme perché.

En réalité, Ramon n’en pouvait plus de la vie en société, de l’usine et des paroles inutiles. Il espérait autre chose et il le trouve en prenant un peu de hauteur. Étonné, il s’émerveille de tout, du chant des oiseaux, des lumières de la ville, du ciel tapissé d’étoiles. Il passe ses nuits à les scruter et à boire de la bière en grande quantité tout en essayant de renouer les fils invisibles qui lui semblent relier les êtres et les choses au cosmos.

« Il y avait des fils, expliquait-il. Des fils ténus qui reliaient les choses. Un matin tu choisissais les chaussures bleues et, au moment précis où tu nouais leurs lacets, un astronome découvrait des étoiles de type spectral qui, en raison de leur température superficielle élevée, brillaient d’un éclat bleuté. »

La nouvelle vie de Ramon dans l’affiche, (sur laquelle figure le slogan "PARTAGEZ LE BONHEUR, écrits en caractères blancs sur une portière de la décapotable rouge – comme sur la canette de la boisson – que conduit la femme gigantesque de la publicité"), ne plaît pas à ceux du bidonville. Beaucoup le prennent pour un fou, d’autres pour un idiot. La plupart réprouvent ce comportement original susceptible d’attenter à la réputation d’un quartier qui vient, de plus, de voir un groupe de sans-abris ("les Sans Maison") s’installer dans des cartons, juste sous leurs fenêtres.

On pressent que cela ne se terminera pas bien. Bientôt, un gamin parti, avec d’autres, visiter la maison de Ramon en son absence, sera retrouvé noyé dans le canal qui longe le bidonville tandis que l’habitant des lieux se volatilisera de façon mystérieuse. Quelqu’un prétendra l’avoir vu s’envoler.

Ce roman social est porté par l’écriture simple et économe de Maria José Ferrada. En reprenant le schéma mis en place dans Kramp, son précédent livre (1), où elle donnait déjà la parole à un enfant, elle cerne au mieux, grâce à la spontanéité, à la verve, à l’humour et à l’admiration du jeune narrateur envers son oncle (le seul à oser quitter les chemins balisés de la précarité pour vivre ses rêves), le rude quotidien des différents protagonistes. Ce faisant, elle impulse une belle énergie à un récit où la mélancolie rôde, tapie au ras du sol, à proximité de l’affiche.

 Maria José Ferrada : L’Homme à l’affiche, traduit de l’espagnol (Chili) par Marianne Millon, Quidam éditeur.

(1) Kamp vient de paraître en poche (collection "Les nomades"), chez le même éditeur.

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