Ceux qui ont voulu fuir l’enfer de la crise dans les grandes villes
grecques pour se réfugier sur une île de la mer Égée avec l’espoir d’y
bâtir une vie meilleure en sont pour leurs frais. Là-bas aussi, dans ce
paysage lumineux (qui leur semblait, vu de loin, être une destination
idéale) ils sont irrémédiablement rejetés, considérés comme des intrus,
des étrangers, des immigrés de l’intérieur.
« On est seuls, étrangers, qui va nous soutenir ? Mais le pire, c’est
la mer. Tu t’attendais à ce que je dise une chose pareille ? Et
pourtant c’est comme ça. L’île est une prison, la mer c’est les
barreaux. »
Ce ne sont pas seulement les idées que la crise économique a réussi à
faire entrer dans les têtes qui sont à l’origine de leur exclusion. Un
fond de pensée bien plus ancien, qui se réveille quand tout autour les
digues sautent, refait surface. Il a à voir avec la haine de l’autre, en
particulier quand il s’avise d’expérimenter, qui plus est sur des
terres où il ne possède aucune attache, un autre choix de vie. Ce vieux
sentiment d’appartenance ancestrale au lieu s’exprime alors très
librement, très sauvagement. Tassos, qui se révolte, qui croit au
pouvoir des mots et à des jours meilleurs, va même y laisser sa peau.
« Tassos, pauvre con, tu vas en prendre plein la gueule. On va foutre
le feu à ta baraque, mon petit vieux, on va brûler tes champs. Tringler
ta gonzesse, massacrer tes mômes. La troisième fois, ils l’ont ligoté
sur le capot de son pick-up et l’ont fait passer au lavage. Savon,
brossage, séchage, toute la séquence. Une semaine à l’hosto, dents
cassées, la peau ravagée par les brosses et les produits chimiques. »
Ensuite ce sera au tour d’Elvis. Puis suivra le fils Lazaros. Tous
deux disparus, volatilisés, jamais retrouvés. Certains se cachent et
s’en sortent. D’autres tombent, se relèvent ou restent définitivement
couchés. Ce sont eux, les exclus, les déchus, les cabossés, eux qui
espèrent malgré tout, eux qui se démènent en se battant souvent contre
des vents contraires qui montent en première ligne dans les textes de
Chrìstos Ikonòmou. Il dit leurs blessures, leurs galères, leur soif de
vivre, de survivre sans courber l’échine.
« Même si nous sommes tous d’accord que désormais, dans l’état où se
trouve ce pays, est un héros non pas celui qui lutte contre le mal, mais
celui qui apprend à vivre avec le mal. »
Tous naviguent entre espoir et désillusion, entre résistance et
résignation dans une société violentée que l’écrivain (auteur
précédemment de l’excellent Ça va aller, tu vas voir)
sonde en profondeur en s’attachant à suivre le parcours de quelques
personnages en marge et en usant d’une prose rude, râpeuse, éruptive qui
ne faiblit jamais, qui touche parfois à l’incantation et qui parvient à
maintenir tout au long du livre un souffle impressionnant.
Chrìstos Ikonòmou : Le salut viendra de la mer, traduit du grec et postfacé par Michel Volkovitch, Quidam éditeur.
Chrìstos Ikonòmou : Le salut viendra de la mer, traduit du grec et postfacé par Michel Volkovitch, Quidam éditeur.