Élise et Lise ne se sont pas rencontrées le même jour. C’est étonnant
mais c’est pourtant vrai. Quoiqu’il en soit, il y avait déjà un moment
que Lise, qui allait faire le premier pas, se sentait attirée par
Élise. Tout en elle lui plaisait. Sa silhouette, ses vêtements, sa
légèreté, son sourire, sa bonne humeur. Elle essayait d’ailleurs, quand
elle se rendait chez Zara ou chez Camaïeu, de trouver le même petit haut
à bretelles qui lui allait si bien et qu’elle finira par dénicher,
acheter et porter. Elle ne savait pas encore que leurs prénoms se
ressemblaient. Étudiantes, elles suivaient le cours de madame Roger sur
les personnages qui peuplent les contes des frères Grimm. Sarah, très
proche d’Élise, et qui suivait également ce cours, assistait à la
rencontre qui eut lieu devant la cabine d’essayage du Kookaï de la rue
Saint-Charles.
« Quand elle repense à cette scène, quand elle la reconstruit dans sa
mémoire insuffisante, elle entend toujours Élise se présenter la
première, "Élise", et Lise ensuite dire "Lise", et ça fait comme un
écho. Mais Sarah sait bien qu’elle imagine, parce qu’en réalité elle ne
se souvient plus. »
À partir de ce jour, les deux jeunes filles ne vont plus se quitter.
Elles vont habiter le même deux pièces, s’échanger leurs vêtements,
partir en week-end ensemble chez les parents d’Élise. Celle-ci a pris
d’emblée, et sans le vouloir, l’ascendant sur celle qui veut lui
ressembler, glaner quelques traits de sa personnalité pour s’inventer
une histoire qui ne débuterait qu’à l’instant où elles sont devenues
amies.
« Lise profitait de l’absence d’Élise pour entrer dans cette jupe à
carreaux, cette chemise en jean, cette robe à pois, ce petit haut à
bretelles. Elle y entrait et y entrer c’était comme entrer dans un autre
monde, un monde où Lise n’existait pas et où il n’y avait plus
qu’Élise. »
C’est ce mimétisme que Philippe Annocque décrit. Il semble avancer
avec une certaine nonchalance mais construit en réalité un roman bien
charpenté, conçu tel un conte résolument ancré dans l’époque. Il passe
d’un personnage l’autre, les éclaire à tour de rôle, précise d’un mot,
d’une phrase, la fragilité de Lise et la liberté assumée d’Élise, le
tout ponctué par les interventions de Sarah qui, sans s’éloigner tout à
fait, est totalement accaparée par l’étude, la signification et les
diverses interprétations des contes.
« Les contes sont des organismes vivants qui vivent leur vie à travers nous. L’individu est sans pouvoir sur eux. »
Un autre personnage apparaît bientôt. Il s’installe durablement. Il
s’appelle Luc. C’est « le garçon qu’Élise leur avait trouvée ». C’est
Lise qui pense ainsi. Heureuse de savoir son amie heureuse, elle sera
triste quand l’histoire se terminera, plus triste encore que celle qui
vient d’être quittée.
Élise et Lise est un conte subtil, empli de fraîcheur et
d’envie de vivre, qui peut facilement basculer. Les thèmes abordés,
sans jamais être nommés, (le besoin – pour Lise – de se conformer, de
paraître, de devenir le double, la copie de celle qui la fascine et le
risque - qui la guette - de se perdre ou d’usurper une identité)
s’avèrent si déstabilisants qu’on se dit parfois qu’il suffirait d’un
rien pour que l’histoire prenne soudain une tournure différente,
chavirant dans le rude, l’effroi, la dureté. Philippe Annocque s’en
garde bien. Il maîtrise son sujet à la perfection. Il sait où il veut
nous mener. Et maintient, pour cela, une tension élevée jusqu’au bout.
Jusqu’à cette ultime fenêtre, grande ouverte, sur laquelle se termine le
livre.
Philippe Annocque : Élise et Lise, Quidam éditeur.
Philippe Annocque : Élise et Lise, Quidam éditeur.
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