Pas besoin de s’encombrer de l’habituel matériel du parfait pêcheur à
pied pour accompagner Dominique Meens en bordure de mer, là où il vit,
lit et écrit, sur l’île d’Oléron. Ce qu’il faut, pour profiter
pleinement d’une sortie à ses côtés, c’est une extrême attention à tout
ce qui bouge et s’agite sur terre, sur mer, dans les airs ou dans les
herbes. Bref, être aux aguets, avoir les yeux bien ouverts et l’ouïe
fine, savoir lire le paysage, les dunes griffées par le vent, les frises
dessinées sur l’eau, ce que disent les reflets, les ombres, les
scintillements. Dès lors, la pêche ne peut qu’être bonne. Et la lecture
également.
« Aujourd’hui premier novembre à sept heures, soit à six heures
solaires, sous le dernier croissant d’une lune à venir nouvelle, je
sursigné, auteur, certifie avoir entendu puis écouté sifflé un merle.
L’île était à cette heure particulièrement silencieuse. »
Précis, l’auteur, tout en tâtonnant, l’est souvent. Surtout quand il
parle des oiseaux, sédentaires ou migrateurs. Il lui faut les nommer,
suivre leurs vols, capter leurs chants, décrire leurs prises de bec,
s’enquérir de leurs déplacements et de leur façon de pêcher ou de
chasser.
« A trois heures et demi, heure solaire, la nuit est profonde, mais
dès quatre heures le merle du rempart voisin est audible. À cinq heures
et demie, toujours solaires, les martinets descendent de leurs hauteurs,
de dessous les cirro-cumulus en écailles de tortue. Un coucou passe ma
part de ciel avec sa gueule d’épervier, venu du sud et filant vers les
marais. Il chante deux fois, soit quatre "coucou". »
Si les oiseaux occupent une place importante au quotidien pour celui qui a écrit (entre autres) Ornithologie du promeneur (3 tomes aux éditions Allia) et Mes langues ocelles (P.O.L.), ils ne sont pas seuls, loin s’en faut. Pêche à pied
est un livre aux multiples entrées. Y cohabitent, en un savant
désordre, dans un parti-pris assumé du discontinu, des notes de lectures,
des observations du paysage, des réponses à des entretiens littéraires,
des carnets de séjour en Hongrie, un compte-rendu de « tourisme
fumiste » au Maghreb, des références à divers philosophes, poètes et
psychanalystes, des citations, une évocation de l’écrivain, cinéaste,
poète et plasticien Gil J Volman (1929-1995), l’un des quatre fondateurs
de
l’Internationale Lettriste ("Volman m’a indiqué un style de vie
possible"), des remarques pertinentes sur La descente de l’Escaut de Franck Venaille, des souvenirs de discussions avec Claude Ollier, des réflexions sur la langue, la poésie, l’écriture.
« Quand j’écris, je suis un autre, ou je suis autre que celui qui
verrait venir à lui l’angoisse. Je me déguise. D’où l’importance des
idéaux qui soutiennent l’entreprise, ceux choisis dans la bibliothèque,
qui participent à la construction d’un Moi-idéal chargé de se retrouver
parmi eux, dans cette même bibliothèque. »
Bibliothèque pleine de pépites anciennes ou contemporaines où il ne
manque jamais de détecter, en tel ou tel ouvrage, un début de réponse
aux interrogations qui tournent dans sa tête et qui s’éclaircissent lors
de ses marches sur l’île.
Dominique Meens choisit des compagnons de route (hommes, femmes,
oiseaux) capables de l’aider, par leur présence et leurs réflexions, à
nourrir ses blocs de prose et ses poèmes. Il lui arrive d’en traduire
quelques-uns. C’est ce qu’il fait ici en s’emparant du Zoo du poète russe Velimir Khlebnikov (1885-1922).
Dominique Meens : Pêche à pied, augmenté de Zoo de Velimir Khlebnikov, graphies orales de Jim Skull, éditions Pontcerq.
Le numéro 254 (juin 2024) du
Matricule des anges consacre un copieux dossier à
Dominique Meens.