La vie de l’écrivain tchèque Jiri Weil (1900-1959) fut intense, rude et
tourmentée. Après avoir passé, en tant que jeune communiste, quelques
années en U.R.S.S. (ou il traduisit Pasternak, Maäkowski, Tsvataeva et
d’autres), il fut victime des purges staliniennes et déporté au
Kazakhstan en 1934. De retour à Prague, il entra dans la clandestinité
en 1942 et fit croire à son suicide (en se jetant dans la rivière
Vltava) pour échapper à l’occupant nazi.
C’est un personnage à l’existence pas très éloignée de celle qui était
alors la sienne, un homme rejeté, jugé inférieur parce que Juif,
contraint de coudre une étoile jaune sur sa veste, qu’il place au
centre de Vivre avec une étoile.
Il se nomme Josef Rubicek. Ancien employé de banque, il vit dans une
mansarde délabrée de la banlieue de Prague. Il a brûlé tous ses meubles
pour ne pas mourir de froid. Ne lui restent qu’un matelas et un guéridon
branlant. Il pèse cinquante-et-un kilos, peine à trouver de quoi
manger. Les nazis font régner la terreur et il reçoit régulièrement la
visite d’un membre du Conseil de la Communauté qui inspecte les lieux et
lui promet une prochaine convocation pour le service obligatoire ou
pour la déportation. Sa vie misérable, il ne peut s’en délester que
ponctuellement, à travers de brefs monologues adressés à celle qui
n’existe plus que dans son souvenir, la femme qui fut jadis son amante
et avec laquelle il n’a pas osé partir.
« Je parlais avec elle, je devais parler avec quelqu’un, je me
faisais à déjeuner sur mon petit poêle rond, j’avais froid parce que mon
poêle ne voulait pas réchauffer la mansarde, la porte et les fenêtres
bâillaient, en vain j’avais essayé de les colmater avec de vieilles
chaussettes, deux fois déjà j’avais nettoyé le four, j’avais faim et
c’était l’heure du déjeuner. »
C’est l’itinéraire de cet homme qui organise sa survie comme il
peut, jour après jour, en se faisant le plus discret possible, dans un
pays où il se sait en danger permanent, que raconte Jiri Weil. Il avance
méthodiquement, manie l’humour avec tact, suit Josef Rubicek dans ses
périlleuses déambulations, le montre en train de raser les murs et de se
faire oublier en ces années de plomb qu’il passe au milieu des morts et
des fossoyeurs, dans un cimetière où on l’a affecté pour cultiver et
récolter entre les tombes, avec quelques autres réprouvés, des légumes
qu’il lui faut ensuite aller livrer en tirant une charrette à bras.
« Maintenant au cimetière, la plupart des gens étaient nouveaux. Ceux
qui étaient partis avec les convois avaient été remplacés par d’autres.
Cela ne faisait pas de différence, le poêle était toujours le même, on
ne voyait pas le visage des gens quand ils regardaient la poussière,
dans laquelle serpentait toujours le même chemin. »
Un temps, sa vie se fera plus douce grâce à la présence d’un chat,
qu’il prénommera Thomas, qui a élu domicile dans sa mansarde. Ils
dormiront sur la même paillasse pendant des mois, jusqu’à ce que Thomas
soit tué, puis écorché et cuisiné à l’ail par un voisin.
« Même s’il n’était pas obligé de porter l’étoile, il avait dû
supporter toutes sortes d’humiliations, on l’avait persécuté et des gens
qu’il n’avait jamais gêné lui lançaient des pierres, j’avais beaucoup
de points communs avec Thomas, que le vieux Burianek était en train de
manger cuit à l’ail. »
Publié en Tchécoslovaquie en 1949, un an après le coup d’état qui vit le Parti Communiste prendre le pouvoir, Vivre avec une étoile
a rapidement été interdit et Weil exclu de l’Union des écrivains, à
cause de ses écrits d’avant-guerre et de sa dénonciation du Stalinisme.
Il ne sera réhabilité qu’en 1958, trop tard (puisque déjà malade) pour
pouvoir finir sa vie comme il l’aurait souhaité.
Roman, mais aussi fable tragique, Vivre avec une étoile mettra
des années avant de trouver ses lecteurs. Aujourd’hui devenu
incontournable, il est traduit dans de nombreuses langues et Jiri Weil
est considéré comme l’un des grands écrivains tchèques du vingtième
siècle, proche – par sa verve, son humour cinglant et son sens de la
narration – de Bohumil Hrabal, et proche également de Kafka, en
particulier celui du Procès, quand il s’attache à démonter, pièce après pièce, la redoutable mécanique d’un monde absurde et cruel.
Jiri Weil : Vivre avec une étoile, traduit du tchèque par Xavier Galmiche, Éditions 10/18