jeudi 11 octobre 2012

Nuit

Mars 1942. L’homme qui était parti tenter sa chance ailleurs, revient, visage et corps ravagés par la faim et la misère, dans la ville en ruines de Prokov, en Ukraine. Il s’appelle Ranek. Ce retour n’est qu’un échec de plus. Il l’évacue sur le champ. Sa capacité à survivre lui interdit de se morfondre. Il peut, à la rigueur, rêver du passé et de ses parents mais à condition de rester sur ses gardes, en se sachant pris dans les filets d’une réalité qui le dépasse et à laquelle il doit s’adapter en ne lâchant jamais rien. Pour l’heure, son cerveau fonctionne et calcule. Il lui faut un refuge avant la nuit et le début des inévitables rafles, ce qui l’oblige à rejoindre le plus rapidement possible un ghetto qu’il connait bien. Ayant été l’un des premiers déportés, il était déjà présent sur place, lors de sa création, en octobre 1941.

« Il se souvenait qu’ici, au début, la vie avait été plus facile. À l’époque, il faut dire, le ghetto n’était pas aussi surpeuplé. À l’époque encore, parmi les habitants, les luttes les plus acharnées avaient lieu pour un quignon de pain. C’est seulement plus tard, avec ces convois humains arrivant sans cesse de Roumanie, qu’il avait fallu se battre pour dégoter une place où dormir. Lutte tout aussi acharnée et brutale. Et tout aussi vitale. »

Le premier endroit vers lequel il se dirige est le dortoir où il logeait avant de partir. Il y découvre une pièce silencieuse, plongée dans la pénombre, pleine de corps couchés sur une longue estrade transformée en couchette collective. Presque tous ceux qui reposent là sont morts du typhus. Les derniers vivants sont à l’agonie et ne bougent plus. Seule une place est encore vide : la sienne. Il sait qu’il ne pourra pas s’y installer, sous peine d’être à son tour contaminé. Il n’a que le temps de s’emparer du chapeau et des chaussettes russes de celui qui fut jadis son meilleur ami avant de sortir en longeant les rues désertes.

De temps à autre, il passe devant un mort qui git sur le trottoir ou dans un caniveau. Il ne s’arrête que pour regarder s’il y a quelque chose à prendre sur le cadavre. Dans la poche d’un pantalon souillé par les excréments, il trouve un reste de cigarette dont il s’empare. Le pantalon est trop sale pour être enlevé et proposé ensuite au marché noir. Presque tous les gisants sont déjà dépouillés de leurs vêtements. Il continue sa route vers une ruine qui tient à peine debout et qui, baptisée « asile de nuit », lui a auparavant également servi de refuge. Ici aussi, le premier homme qu’il voit est atteint du typhus. Il est recroquevillé sous l’escalier, à l’écart du dortoir, situé à l’étage, où dorment ou geignent ceux que la maladie n’a pas encore touchés. C’est là que Ranek va trouver ce qu’il cherche, obtenant, après bien des négociations, la place laissée vacante par celui que l’on a poussé dehors et qui est en train de mourir à l’entrée.

« Il se réveilla. Il devait être minuit, par là.
Les rafles avaient repris depuis un moment. Du dehors parvenaient les bruits familiers auxquels son oreille s’était accoutumée et qu’il arrivait à distinguer un à un. Ça semblait venir de très loin ; il tendit l’oreille, sans savoir si les hurlements provenaient de la rive du fleuve ou de la Pouchkinskaïa. Ranek pensa furtivement aux gens qui couraient à pas lourds dehors dans la nuit, aux rires des traqueurs et aux criaillements des femmes, aux yeux angoissés des enfants et à tous les autres qui n’arrivaient plus à avancer dans la boue et s’effondraient sur le bord du chemin. Tant qu’il n’y était pas, il s’en fichait. Il avait faim. C’est tout ce qu’il éprouvait. »

La vie à l’intérieur du ghetto de Prokov est une lutte permanente et féroce où chacun tente de sauver sa peau comme il peut. Tous ont faim et froid. Ils savent que leurs jours sont comptés et qu’il leur faut glaner de quoi se nourrir. Cela ne peut se faire qu’en acceptant le système de troc mis sur pied par ceux qui trafiquent avec les paysans ukrainiens ou avec les derniers riches circulant encore en ville, entre le café, le bazar, le bordel et la boutique du coiffeur. Roublard et déterminé, bien que tombant souvent sur de plus roués que lui, Ranek ne se pose pas plus de questions que les autres. Comme eux, il se débat avec l’innommable. Voler les chaussures d’un agonisant ou défoncer à coups de marteau la bouche de son frère qui vient de mourir pour en extraire une dent en or fait, certes, trembler et vaciller son corps décharné mais atteint à peine sa pensée. L’instinct de vie s’avère plus fort que la morale et la dignité. Dans le ghetto, tout se paie. Il n’est pas simple de gagner une poignée de haricots ou quelques épluchures de pommes de terre. Les hommes et les femmes qui errent dans cette nuit totale ne sont que des ombres égarées. Parfois certaines s’accouplent. Leurs caresses restent furtives. La pudeur n’existe plus. Tous fréquentent la même longue planche sale, glissante et trouée en plusieurs endroits qui leur sert de latrines. Quand l’un, trop faible, tombe dans la fosse, personne ne peut le repêcher et tous continuent de faire leurs besoins sur lui jusqu’à ce qu’il s’enfonce inexorablement...

« Chaque matin, c’était le même tableau. Brouhaha et puanteur. Les uns, assis, s’épouillaient, les autres mangeaient quelque chose en cachette, d’autres ronflaient encore d’épuisement et même le pire boucan ne pouvait les réveiller. Quelques lève-tôt, pas lavés, titubaient jusqu’aux latrines et revenaient peu après. La porte claquait sans cesse. »

Nuit est le premier roman de Edgar Hilsenrath. C’est cet ensemble qu’il évoquait dans Fuck America. Il parlait alors de l’écriture et de la conception d’un grand livre à venir qui lui prenait tout son temps et à travers lequel il voulait raconter, avec précision, de façon très crue, sans jamais nommer les vrais bourreaux, (les nazis, effectivement invisibles), l’enfer qu’il a lui-même vécu de 1941 à 1945 à l’intérieur de ce ghetto ukrainien. Il aura mis dix ans à venir à bout de cet ensemble de 550 pages réécrit une vingtaine de fois. Publié en 1963 en Allemagne, l’ouvrage, rapidement épuisé, puis auto-censuré par son éditeur, connut ensuite un grand succès aux États-Unis. Considéré comme le chef d’œuvre d’Hilsenrath, il n’avait curieusement jamais été traduit en Français.


 Edgar Hilsenrath : Nuit, traduit par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb, couverture de Hennig Wagenbreth, éditions Attila.


mercredi 3 octobre 2012

Abalamour

Avec Abalamour, Paol Keineg dévoile ce que les familiers de son œuvre savaient ou pressentaient : Le Mur de Berlin ou La Cueillette des mûres en Basse-Bretagne (attribué à Yves Deniellou) et Journal d’un voyage à pied le long de le rive sud de la rade de Brest en hiver (signé Chann Lagatu), tous deux publiés aux éditions Wigwam, le furent bien sous pseudonyme. Celui qui s’y dissimulait (à peine) n’était autre que l’auteur de Là et pas là (Le Temps qu’il fait, 2005) et de l’anthologie personnelle Les trucs sont démolis (Obsidiane et Le Temps qu’il fait, 2008). Ce besoin de s’effacer, de s’oublier pour oser autre chose en stimulant une écriture poétique qui lui semblait stagner et se répéter, il l’explique avec simplicité.

« On pourrait voir en ces jeux de demi-masques des enfantillages. Il n’en ai rien. Un changement de nom procure un effet libérateur en certaines circonstances, même si, à la différence de Pessoa, je ne me suis pas préoccupé de donner une histoire plausible ou facétieuse aux deux hétéronymes. »

Si Deniellou et Lagatu signent dans ce livre des inédits qu’il faut bien attribuer à Keineg, il n’empêche que les démarches précédemment initiées par celui qui se disait « fatigué de se parodier » se confirment et s’amplifient. Le poème très bref, tenant en une seule ligne, de Lagatu se perpétue de même que celui de Deniellou qui, lui, se construit par paliers en déroulant de longues séquences aérées, souples et continues.

« c’est facile d’écrire quand on n’essaie pas de devenir, les bruits ne sont pas de vrais bruits, les morts sont morts et ils vous appartiennent, ils n’ont pas fini de faire violence, comme on ne sait pas s’y prendre
ils vampirisent, peur sans doute qu’on les oublie, peur du temps qui passe et des vivants qui, sans préjugés, sans volonté, mettent partout le désordre au nom de l’ordre, on dit que la vie est une chienne »

Si la forme change selon le nom adopté, ouvrant ainsi un vaste champ créatif, cela ne veut pas dire que les poèmes ne puisent pas à la même source. La cohésion du livre se situe là. Les territoires sensibles arpentés par Paol Keineg le sont d’abord grâce à ce regard vif qu’il porte sur chaque chose, chaque être, chaque paysage. S’y ajoutent une mémoire constamment sollicitée (la sienne et celle transmise par ses proches, notamment par ses parents, très présents ici), un attachement aux lieux où il a le plus longuement vécu (Bretagne et États-Unis) et une attention toute particulière portée aux bêtes.

« Heureux les chats qui ont grandi parmi les grands livres.
L’été remis à neuf en septembre, les grives pillent les baies de l’if.
À peine descendue sur ma main, déjà en prière, la mouche.
Contorsionniste, le chaton dans les barreaux de chaise, avec des envies de tuer. »

Le désenchantement qui, de temps à autre, l’envahit, se transforme la plupart du temps en une énergie salvatrice. La dérision et l’humilité n’y sont pas pour rien. On pourrait même y accoler une fatalité acceptée et transcendée. Quiconque lui demanderait pourquoi ceci ou cela, risquerait de recevoir une seule et même réponse : « parce que », ou « à cause de », ce qui, traduit en langue bretonne, se dit, tout simplement : abalamour.

Paol Keineg : Abalamour, dessins de François Dilasser, éditions Les Hauts-Fonds.

lundi 24 septembre 2012

Journal d'hiver

« Pour voir la mer, il faut partir des pierres sans doute », note Jean-Pierre Abraham en songeant à la promesse qu’il a faite au peintre Yves Marion en acceptant de monter au phare d’Ar Men avec dans ses bagages une trentaine de ses monotypes. Ce que l’artiste lui a demandé, c’est de mener, là-haut, un travail d’écriture qui, partant de ses dessins, serait tout autant façonné par son regard de gardien de phare, par sa quête de solitude et par le décor rude et particulier qu’offre la mer durant les mois d’hiver.

Ce long cheminement, mené « dans les ruines de l’état du temps », date du début des années soixante. Il donna lieu à la création d’un livre unique que Marion avait à l’époque conçu et précieusement gardé. C’est celui-ci qui nous est aujourd’hui donné à lire et à voir. On y découvre, en regard des dessins qui furent exécutés avec des moyens pauvres (utilisation d’une plaque de verre pour appliquer l’encre sur du papier à lettres), des poèmes et des textes brefs dans lesquels Jean-Pierre Abraham dit s’être rapproché de Pierre Reverdy en poussant, comme lui, « des mots, des lignes jusqu’au bord du gouffre ».

« Sous l’air usé transparaît la brume
Ses édifices à vitre son œil plat

La pierre se crispe ne la reconnaît pas
Elle et ses roues dentées »

Le paysage qu’il a devant lui, et qui touche à la houle, au ressac, à l’horizon pris dans les brumes, est tout aussi présent que le phare et ses feux tournants qui ouvrent dans la nuit océane des interstices de lumière capables de se rapprocher de ceux que l’on trouve dans les monotypes de Yves Marion.

« La pierre est divisée
Départie dévorée
La lumière y avance

L’écume à fleur de sel
Est plus réelle qu’elle

Une vitre naît
Dans la différence »

Les poèmes d’Abraham naissent souvent d’un simple regard. Celui-ci vient de loin, se forge en intérieur avant de déceler des perspectives qu’il n’imaginait pas. Ce n’est qu’ensuite, au prix d’un travail acharné (« je n’aurais jamais cru que l’emploi des mots puisse faire tant de mal ») qu’il se frotte aux éléments afin de trouver le ton juste, l’image précise, l’élan, le mouvement perpétuel et presque mécanique du temps qui use, qui imprime, qui révèle.

« Pierres à feu, vierges folles, vous allez savoir comment vit l’homme étiré. Vous connaîtrez la marque de sa tête, ses ongles les jours d’ennui, ses masques pieux et ses tapisseries peut-être. »

Jean-Pierre Abraham et Yves Marion : Journal d’hiver, éditions Le Temps qu’il fait.
Il existe une vidéo, tournée au début des années 60, permettant de retrouver Jean-Pierre Abraham au phare d’Ar Men, au large de l’île de Sein : c’est ici.


vendredi 14 septembre 2012

Les enfants sont des cruches

Monsieur ressemble apparemment à la plupart de ses congénères. Il est marié, il a un fils de cinq ans. Il connait l’amour, la haine. Il travaille, il a un patron. Il parle aux murs, découvre des paysages, visite des expositions de peinture. Tout irait bien si Monsieur ne devenait pas, de temps à autre, ce qu’il n’est pas. Il lui arrive ainsi de se prendre pour une poule et de se laisser surprendre accroupi sur une chaise, battant des coudes et faisant cot, cot.

« Je suis une poule, dit Monsieur. Évidemment, je n’ai pas toujours été ainsi, on ne naît pas poule... mais homme ! Seulement, qui le reste ? »

Parfois il devient également baignoire.

« Je suis une baignoire, se dit à présent Monsieur, au moment où on retire le bouchon, où l’eau s’écoule, une baignoire qui se vide... »


L’évocation de l’eau (plage, ou virée dans les égouts, ou séance de patinage sur étang gelé) le rapproche épisodiquement de l’avant-vie et de ce qui s’en suit, occasionnant surprises et déconvenues. Il peut, par exemple, traverser un pont en s’apercevant tout à coup que le pont a disparu, se transformant en cri, « sous lequel s’écoule un fleuve, toujours le même ». Monsieur pense que ce cri est celui de sa venue au monde. Il le croit d’autant plus qu’il sait n’avoir pas été conçu dans un lit « mais au bord de la mer – révélation que lui fit un jour son père sur son lit d’hôpital, son père à l’agonie ».

« J’étais si jeune fiston, je ne savais plus ce que je faisais... le soleil brillait, la mer scintillait, mon sperme soudain s’est mêlé à l’écume des vagues, où se baignait une inconnue : ta mère que j’ai ainsi fécondée sans même m’en rendre compte. »

Cette révélation tardive l’éclaire sur bien des points. « J’ai été dévoré par mon père, dit-il, plongé dans ses souvenirs, une forêt de souvenirs, sombre, froide, où il finit par se perdre. » Quand il revoit sa mère, ça ne va pas mieux. « Dans mes rêves, ma mère m’apparaît parfois sous les traits d’une chienne ».

Dans sa tête, des hypothèses circulent en tous sens. Elles se heurtent aux rêves, se chargent d’irréalité, détournent le cours dit normal du quotidien en suscitant d’étranges situations. Ce sont celles-ci qui servent de trame au troisième livre de Sami Sahli (les deux précédents - Cent grammes de suicide et L’entonnoir des saisons - ont été publiés chez L’Arpenteur/Gallimard) qui, s’expliquant dans une note en fin de volume, dit qu’il a conçu cet ensemble pour se consoler sans prendre, pour autant, en exemple l’issue fatale choisie par Dagerman. Il dit combien l’écriture de ce livre fut pour lui « une tentative de consolation, de renaissance, comme si je n’étais pas définitivement né, un jour du mois de mai de l’année mille neuf cent soixante-trois, à Rennes, d’une mère bretonne et d’un père tunisien. »

Le pessimisme lucide et souvent exacerbé qui apparaissait, par bouffées brèves et ciselées, dans ses précédents textes, est ici moins prégnant. Il laisse place à un théâtre de l’absurde et du détournement de la logique qui fonctionne à plein régime et fait mouche dans chacune des trente séquences présentées. À chaque fois, le dérèglement est de mise. Il s’accompagne d’un sourire qui peu à peu se décrispe pour assouvir « ce besoin de consolation » qui ne peut passer que par un imaginaire en ébullition, apte à déficeler puis à réparer ce qui, en tout être, et tout particulièrement chez Monsieur, paraît de prime abord immuable et figé.

 Sami Sahli : Les enfants sont des cruches, éditions Presque lune.

lundi 3 septembre 2012

Le Crieur de Saint-Herblain

Sillonnant la ville à pied, en voiture ou en triporteur, s’arrêtant chaque jour à heures régulières en différents lieux stratégiques (à la gare, au marché, dans la rue, près d’un bar ou en bas d’un immeuble), Claude Andrzejewski a été, au sein d’une compagnie spécialisée dans le théâtre d’interventions urbaines, crieur à Saint-Herblain de mars à juin 2006. Des boîtes aux lettres, disposées dans la ville, permettaient aux gens qui le désiraient de déposer des messages qui étaient ensuite récupérés puis criés publiquement en même temps que d’autres nouvelles, ponctuelles et locales, auxquelles s’ajoutaient une partie écrite par le comédien et diverses infos aléatoires allant des pronostics du tiercé à l’horoscope pour finir par la Phrase du jour.
Claude Andrzejewski a tenu le journal de cette expérience où il a dû affronter des situations parfois délicates. Il ne devait pas seulement faire face aux intempéries et ménager sa voix qui se fragilisait mais également tenter d’éviter les projectiles (des œufs, des yaourts et des oignons) lancés par des « snipers » camouflés dans les étages, ou remettre à leur place les vigiles du centre commercial et répliquer sans perdre la face à ceux qui l’interpellaient sèchement.

« Ce doit être exactement ça, le boulot : accepter que la vie submerge le théâtre, et que l’on s’y perde, et que l’on s’y trouve, d’instant en instant, en courant les rues. »

Entre coups de blues et regains d’énergie, il retrace son épopée avec humour et sagesse, expliquant ce qu’il doit à ceux qui, sur place, lui ont permis de donner du sens à son séjour en l’accueillant chaleureusement et en l’invitant à partager quelques unes de leurs soirées au bistrot ou en famille. Il dit aussi, et plus tristement, ses doutes, ses colères et la peur qui, lors de certaines criées, ne le lâchait pas. L’intervention en milieu urbain, en faisant en sorte que certains endroits de la ville, souvent les plus "sensibles", se transforment à l’occasion en scènes de théâtre, n’est pas du goût de tous. Le comédien l’a plusieurs fois appris à ses dépends, se trouvant, bien malgré lui, confronter (en plus des velléités des habituels détracteurs) à des événements imprévus, parfois bienvenus (les grèves contre le CPE) ou dramatiques (le 28 avril, Mustapha, vice-président du centre socioculturel s’est jeté du 16ième étage) auxquels il devait s’adapter le plus rapidement possible.

« Il nous faut pour ça une dose de folie altruiste, une espèce d’héroïsme vain, désespéré, l’âme chevillée au corps. Et pour le coup, il y a aujourd’hui du jeu en moi, comme entre le battant d’une porte et son chambranle de guingois. “Nous faisons déjà partie des morts”, me rétorque mon metteur en scène, citant le dramaturge Kantor. »

Le témoignage de Claude Andrzejewski est spontané et plein d’humanité. Il est conscient du côté éphémère de ce rôle de crieur dans lequel il s’est totalement investi. Le suivre, quelques années plus tard, nous permet, de plus, de retrouver, après huit ans de silence, l’auteur du recueil de nouvelles Du vin, du vent (La Dragonne, 2004) où, entre flâneries, verve, malice et nonchalance, on percevait déjà, tout comme ici, le sens du contact, le don de soi, le besoin de tisser des liens et la volonté de rompre les solitudes qui restent, indéfectiblement, ancrés en lui.

Claude Andrzejewski : Le Crieur de Saint-Herblain, éditions La Dragonne.