Paris insolite, paru une première fois en 1952 chez Denoël puis en 1954 au Club du meilleur livre dans la version que donnent les éditions Attila (il s’agit de celle, épuisée depuis belle lurette, où le texte de Jean-Paul Clébert est accompagné de 115 photos de Patrice Molinard) n’est pas uniquement la chronique d’une ville sillonnée « à l’envers » et en zigzags par un auteur (semi clochard) qui y revient parce que l’hiver pointe et que la chaleur des murs est plus sûre que celle des cabanes trouées dans les bois, c’est aussi un récit mené tambour battant - à coups de phrases longues et haletantes - qui devient peu à peu « roman aléatoire », tissé à partir de milliers de notes prises sur le vif par un marcheur à l’œil acéré.
« Mains au creux des fentes pantalonnières, le mégot basculant, l’œil plissé sous la fumée, un pied chassant l’autre, on se tape un gueuleton visuel, gratuit, pour soi seul. »
Le Paris de Clébert, celui où il hiberne avec l’idée d’y écrire un livre, est habité par ceux qui lui ressemblent : les clochards, les chiffonniers, les bricoleurs, les farfouilleurs et les pousseurs de vent. Tous se retrouvent, début des années 50, au « paradis des cloches » avec, chaque jour, des réponses à trouver pour règler des besoins aussi impérieux que ceux qui consistent à manger, dormir, se chauffer, se laver. Cela passe par des rencontres plus ou moins fortuites (pour cela, il faut avoir un minimum de bagout, l’auteur n’en manque pas) et par la nécessité de mettre bout à bout des petits boulots happés à la sauvette. Ainsi, Clébert fut un temps métreur d’appartement, occupation qui lui permettait de visiter de nombreux intérieurs, d’y découvrir des façons de vivre surprenantes et des personnages singuliers tout en glanant, ici et là, un verre de vin en complément de la course.
« J’avais fait la découverte d’un Paris baroque, l’inconnu des derniers retranchements intimes, j’avais, comme le héros romantique, soulevé le toit-couvercle des maisons et regardé dedans, à l’improviste, pénétré comme par effraction dans les chambres, cambriolé les armoires, fouillé les garde-robes, surpris les gens à table, à la fenêtre, à la radio, à la cuisine, à la lecture des journaux, à l’amour, au cassage de vaisselle, au raccommodage, au lessivage… »
Il fut aussi crieur de journaux, ami intime de quelques hôtesses, confident de concierges en manque d’auditeurs, familier de la zone et arpenteur des quais de Seine. Il fut avant tout avaleur de bitume, marchant du matin au soir et ne faisant halte que pour discuter avec ses proches, ceux qui traînaient (les caddies viendront plus tard) leur poussette en bois rempli de bric-à-brac d’un quartier l’autre. Cheminant toujours vers le ventre de la ville, vers la cantine, vers le garde-manger, vers les Halles et leurs odeurs de boustifaille, de soupe, de légumes, de vin chaud.
« Elles sont réellement les entrailles de toute une population, le centre d’attraction de tous les vagabonds diurnes et nocturnes qui viennent y glaner leur friture alimentaire, ces rogatons, déchets et tombées minables inexistantes à l’œil de l’épicier en gros ou en détail qui marche dessus. »
Là-bas, aux Halles, Clébert trouva un autre emploi : il officia un temps au cul des camions en qualité de "basculeur pointeur" pour un Turc bananier. Le pécule gagné lui permettait non seulement de s’installer au bord du zinc (et de créer de nouveaux liens) mais également de se payer de temps à autre une chambre d’hôtel. Idéal pour mettre de l’ordre dans ces multiples papiers qui s’amassaient au fond de ses poches et sur lesquels il avait noté toute la matière qui devait servir à l’élaboration de ce livre qu’il ne perdait jamais de vue.
Revenu deux ans plus tard, en compagnie du photographe Patrice Molinard (qui débuta aux abattoirs de la Villette sur le film de Franju, Le Sang des bêtes) réajuster ses pas dans ceux d’avant et réactiver sa mémoire en fréquentant à nouveau les rues, les bistrots, les épiceries, les pensions, Jean-Paul Clébert ne se berçait pas d’illusions. Cette "ville change de peau tous les jours", note-t-il. Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter que " les mystères couvent encore à l’angle de ses rues, derrière la façade de ses maisons, et les palissades de ses terrains vagues".
Arpentant ce Paris insolite, on ne peut pas ne pas songer à Robert Giraud (1921 – 1997), ami proche de l’auteur, et à son Vin des rues que Denoël publia à la même époque et qui vient d’être réédité (Ed. Stock) en même temps qu’une remarquable biographie intitulée Monsieur Bob, concoctée par Olivier Bailly.
« Quittant les bords de Seine à la tombée de la nuit, (…) je grimpai chez le copain Bob Giraud, ci-devant bouquiniste sur le quai Voltaire et le plus malin connaisseur du fantastique social parisien. »
« Mains au creux des fentes pantalonnières, le mégot basculant, l’œil plissé sous la fumée, un pied chassant l’autre, on se tape un gueuleton visuel, gratuit, pour soi seul. »
Le Paris de Clébert, celui où il hiberne avec l’idée d’y écrire un livre, est habité par ceux qui lui ressemblent : les clochards, les chiffonniers, les bricoleurs, les farfouilleurs et les pousseurs de vent. Tous se retrouvent, début des années 50, au « paradis des cloches » avec, chaque jour, des réponses à trouver pour règler des besoins aussi impérieux que ceux qui consistent à manger, dormir, se chauffer, se laver. Cela passe par des rencontres plus ou moins fortuites (pour cela, il faut avoir un minimum de bagout, l’auteur n’en manque pas) et par la nécessité de mettre bout à bout des petits boulots happés à la sauvette. Ainsi, Clébert fut un temps métreur d’appartement, occupation qui lui permettait de visiter de nombreux intérieurs, d’y découvrir des façons de vivre surprenantes et des personnages singuliers tout en glanant, ici et là, un verre de vin en complément de la course.
« J’avais fait la découverte d’un Paris baroque, l’inconnu des derniers retranchements intimes, j’avais, comme le héros romantique, soulevé le toit-couvercle des maisons et regardé dedans, à l’improviste, pénétré comme par effraction dans les chambres, cambriolé les armoires, fouillé les garde-robes, surpris les gens à table, à la fenêtre, à la radio, à la cuisine, à la lecture des journaux, à l’amour, au cassage de vaisselle, au raccommodage, au lessivage… »
Il fut aussi crieur de journaux, ami intime de quelques hôtesses, confident de concierges en manque d’auditeurs, familier de la zone et arpenteur des quais de Seine. Il fut avant tout avaleur de bitume, marchant du matin au soir et ne faisant halte que pour discuter avec ses proches, ceux qui traînaient (les caddies viendront plus tard) leur poussette en bois rempli de bric-à-brac d’un quartier l’autre. Cheminant toujours vers le ventre de la ville, vers la cantine, vers le garde-manger, vers les Halles et leurs odeurs de boustifaille, de soupe, de légumes, de vin chaud.
« Elles sont réellement les entrailles de toute une population, le centre d’attraction de tous les vagabonds diurnes et nocturnes qui viennent y glaner leur friture alimentaire, ces rogatons, déchets et tombées minables inexistantes à l’œil de l’épicier en gros ou en détail qui marche dessus. »
Là-bas, aux Halles, Clébert trouva un autre emploi : il officia un temps au cul des camions en qualité de "basculeur pointeur" pour un Turc bananier. Le pécule gagné lui permettait non seulement de s’installer au bord du zinc (et de créer de nouveaux liens) mais également de se payer de temps à autre une chambre d’hôtel. Idéal pour mettre de l’ordre dans ces multiples papiers qui s’amassaient au fond de ses poches et sur lesquels il avait noté toute la matière qui devait servir à l’élaboration de ce livre qu’il ne perdait jamais de vue.
Revenu deux ans plus tard, en compagnie du photographe Patrice Molinard (qui débuta aux abattoirs de la Villette sur le film de Franju, Le Sang des bêtes) réajuster ses pas dans ceux d’avant et réactiver sa mémoire en fréquentant à nouveau les rues, les bistrots, les épiceries, les pensions, Jean-Paul Clébert ne se berçait pas d’illusions. Cette "ville change de peau tous les jours", note-t-il. Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter que " les mystères couvent encore à l’angle de ses rues, derrière la façade de ses maisons, et les palissades de ses terrains vagues".
Arpentant ce Paris insolite, on ne peut pas ne pas songer à Robert Giraud (1921 – 1997), ami proche de l’auteur, et à son Vin des rues que Denoël publia à la même époque et qui vient d’être réédité (Ed. Stock) en même temps qu’une remarquable biographie intitulée Monsieur Bob, concoctée par Olivier Bailly.
« Quittant les bords de Seine à la tombée de la nuit, (…) je grimpai chez le copain Bob Giraud, ci-devant bouquiniste sur le quai Voltaire et le plus malin connaisseur du fantastique social parisien. »
Paris insolite : Jean-Paul Clébert et Patrice Molinard, éditions Attila.
On peut retrouver Clébert, Giraud, Molinard, Doisneau (que tous côtoyaient) et bien d’autres familiers du Paris des comptoirs et des rues étroites (parmi lesquels le discret Clément Maraud qui, dans Têtes de zinc, suit avec sensibilité et tact nombre de "vies en panne") dans un chaleureux blog qui ouvre à toute heure, et qui est disponible ici même.
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