L’écrivain Patrick Straram (1934-1988) est peu connu en France. Il fut, dans les années 70/80, l’une des figures marquantes de la contre-culture québécoise. Non seulement comme poète (auteur d’une douzaine de titres dont Irish coffees au No Name Bar et Vin rouge Valley of the Moon, éd. L’hexagone) mais aussi comme créateur du Centre d’art de l’Elysée (premier cinéma d’art et essai là-bas) et animateur à Radio-Canada, d’abord d’une série d’émissions (Une demi-heure avec... Boris Vian, Samuel Beckett, les trains, le blues, etc) puis d’une centaine d’heures de Blues clair. Ce titre, emprunté à Django Reinhard figurera d’ailleurs en tête de tous ses livres à partir de 1983. Il fut également l’un des éléments clés de l’aventure de la revue Parti-pris et correspondant à Montréal des Cahiers du cinéma.
Ce que l’on sait moins (ou plus du tout), c’est qu’avant son départ pour le Canada, Patrick Straram, né à Paris, fut très actif de ce côté-ci de l’Atlantique. Deux livres, publiés il y quelques années, grâce au minutieux travail de recherche de Jean-Marie Apostolidès et de Boris Donné, le rappellent fort opportunément.
Le collage autobiographique qui clôt La veuve blanche et noire un peu détournée (récit d’une histoire d’amour, sur fonds d’érotisme, entre lui - 18 ans - et Marthe de Téhéran - 36 ans, ancienne résistante communiste dans le Vercors) permet de suivre son parcours en quelques pages. De ses errances "sur les quais, dans les rues, les bars, les caves de Saint-Germain-des-prés" jusqu’à son internement à l’hôpital psychiatrique de Ville-Évrard en passant par les rencontres décisives qui allaient, pour un temps, guider une partie de sa vie. Rencontres au café Chez Moineau, rue du four, de Guy Debord et d’Ivan Chtcheglov, membres de l’Internationale Lettriste qu’il rejoindra, lui aussi, en 1953.
« À Ville-Évrard, j’avais choisi l’atelier de peinture. C’est là qu’un après-midi je barbouillai violemment un papier d’emballage, couvert d’étiquettes “Go”, sur lequel je collai ensuite un paquet de Celtiques, la photo d’un crâne trépané et des phrases d’Henri Michaux.
Quelques jours plus tard, lors d’une visite, Ivan Chtcheglov et Guy-Ernest Debord, avec lesquels nous avions fondé l’Internationale Lettriste dissidente d’Isidore Isou et allions préparer l’Internationale Situationniste, m’apprirent qu’ils avaient simultanément entrepris de semblables collages. »
Sitôt sorti de l'hôpital, (Beckett est, entre temps, intervenu auprès de Jérôme Lindon pour que celui-ci lui fournisse des travaux de dactylographie) Straram se remet à fréquenter les bars. Il boit beaucoup. Lit, écrit et parfois détourne - partant du principe cher à Lautréamont qu’"une phrase appartient moins à son auteur qu’à celui qui l’utilise le mieux" - des extraits d’autres ouvrages en les insérant à son propre texte et en donnant une autre architecture au livre en chantier. La veuve blanche et noire un peu détournée (éd. Sens & Tonka) est né ainsi. Du détournement d’un titre et de fragments de Ramon Gomez de la Serna.
« Avant de quitter Paris pour la Colombie Britannique, en 1954, je cherchai dans la ville quelques livres à emporter.
Un matin, après la signature de papiers aux bureaux de la Greek Line, place du Palais-Royal, je découvris ce livre, à la couverture bleu, ordinaire et insolite, de par ses “titres”, assez pour m’intriguer :
La veuve blanche et noire par Ramon Gomez de la Serna, 1924, aux éditions du Sagittaire, Chez Simon Kra, 6 rue Blanche - Paris.
Je le volai donc. »
Ce n’est qu’en 1967, revoyant pour la dernière fois ce récit vif et autobiographique, qu’il explique le processus de sa composition, revenant sur les fameuses métagraphies (le détournement prôné par Lautréamont) que les trois compères de l’ I.S. (lui, Chtcheglov et Debord) expérimentaient à l’époque.
Les bouteilles se couchent (éd. Allia), autre inédit de celui qui, au Québec, signait Patrick Straram le Bison Ravi (anagramme de Boris Vian) est une plongée dans les dérives nocturnes d’un groupe où l’on retrouve, outre ceux déjà cités, Jean-Michel Mension (auteur de La Tribu, également chez Allia), Jacques Blot, Jean-Claude Guilbert, Michèle Bernstein (c’est avec elle qu’il fera une virée au Havre sur les traces de Sartre et de la petite ville de La Nausée)...
L’arpentage du quartier latin s’effectue en zigzag. Les circuits se terminent toujours dans des salles enfumées et houleuses où les idées fusent.
À la fois témoignage, cocktail d’alcools divergents et concerto déconcertant, ce texte - l’alerte et chaloupée déambulation d’un écrivain d’à peine vingt ans dans les dédales du 6ième arrondissement - apparaît (Apostolidès et Donné l’ont déniché dans le fonds Straram déposé à la B.N. du Québec) comme un condensé des nombreuses expériences déjà vécues par l’auteur et comme un coup de chapeau chaleureux aux oeuvres littéraires (en particulier celles de Lowry et de Joyce) qui, proches de sa sensibilité, l’ont aidé à se trouver.
Ce que l’on sait moins (ou plus du tout), c’est qu’avant son départ pour le Canada, Patrick Straram, né à Paris, fut très actif de ce côté-ci de l’Atlantique. Deux livres, publiés il y quelques années, grâce au minutieux travail de recherche de Jean-Marie Apostolidès et de Boris Donné, le rappellent fort opportunément.
Le collage autobiographique qui clôt La veuve blanche et noire un peu détournée (récit d’une histoire d’amour, sur fonds d’érotisme, entre lui - 18 ans - et Marthe de Téhéran - 36 ans, ancienne résistante communiste dans le Vercors) permet de suivre son parcours en quelques pages. De ses errances "sur les quais, dans les rues, les bars, les caves de Saint-Germain-des-prés" jusqu’à son internement à l’hôpital psychiatrique de Ville-Évrard en passant par les rencontres décisives qui allaient, pour un temps, guider une partie de sa vie. Rencontres au café Chez Moineau, rue du four, de Guy Debord et d’Ivan Chtcheglov, membres de l’Internationale Lettriste qu’il rejoindra, lui aussi, en 1953.
« À Ville-Évrard, j’avais choisi l’atelier de peinture. C’est là qu’un après-midi je barbouillai violemment un papier d’emballage, couvert d’étiquettes “Go”, sur lequel je collai ensuite un paquet de Celtiques, la photo d’un crâne trépané et des phrases d’Henri Michaux.
Quelques jours plus tard, lors d’une visite, Ivan Chtcheglov et Guy-Ernest Debord, avec lesquels nous avions fondé l’Internationale Lettriste dissidente d’Isidore Isou et allions préparer l’Internationale Situationniste, m’apprirent qu’ils avaient simultanément entrepris de semblables collages. »
Sitôt sorti de l'hôpital, (Beckett est, entre temps, intervenu auprès de Jérôme Lindon pour que celui-ci lui fournisse des travaux de dactylographie) Straram se remet à fréquenter les bars. Il boit beaucoup. Lit, écrit et parfois détourne - partant du principe cher à Lautréamont qu’"une phrase appartient moins à son auteur qu’à celui qui l’utilise le mieux" - des extraits d’autres ouvrages en les insérant à son propre texte et en donnant une autre architecture au livre en chantier. La veuve blanche et noire un peu détournée (éd. Sens & Tonka) est né ainsi. Du détournement d’un titre et de fragments de Ramon Gomez de la Serna.
« Avant de quitter Paris pour la Colombie Britannique, en 1954, je cherchai dans la ville quelques livres à emporter.
Un matin, après la signature de papiers aux bureaux de la Greek Line, place du Palais-Royal, je découvris ce livre, à la couverture bleu, ordinaire et insolite, de par ses “titres”, assez pour m’intriguer :
La veuve blanche et noire par Ramon Gomez de la Serna, 1924, aux éditions du Sagittaire, Chez Simon Kra, 6 rue Blanche - Paris.
Je le volai donc. »
Ce n’est qu’en 1967, revoyant pour la dernière fois ce récit vif et autobiographique, qu’il explique le processus de sa composition, revenant sur les fameuses métagraphies (le détournement prôné par Lautréamont) que les trois compères de l’ I.S. (lui, Chtcheglov et Debord) expérimentaient à l’époque.
Les bouteilles se couchent (éd. Allia), autre inédit de celui qui, au Québec, signait Patrick Straram le Bison Ravi (anagramme de Boris Vian) est une plongée dans les dérives nocturnes d’un groupe où l’on retrouve, outre ceux déjà cités, Jean-Michel Mension (auteur de La Tribu, également chez Allia), Jacques Blot, Jean-Claude Guilbert, Michèle Bernstein (c’est avec elle qu’il fera une virée au Havre sur les traces de Sartre et de la petite ville de La Nausée)...
L’arpentage du quartier latin s’effectue en zigzag. Les circuits se terminent toujours dans des salles enfumées et houleuses où les idées fusent.
À la fois témoignage, cocktail d’alcools divergents et concerto déconcertant, ce texte - l’alerte et chaloupée déambulation d’un écrivain d’à peine vingt ans dans les dédales du 6ième arrondissement - apparaît (Apostolidès et Donné l’ont déniché dans le fonds Straram déposé à la B.N. du Québec) comme un condensé des nombreuses expériences déjà vécues par l’auteur et comme un coup de chapeau chaleureux aux oeuvres littéraires (en particulier celles de Lowry et de Joyce) qui, proches de sa sensibilité, l’ont aidé à se trouver.
Patrick Straram : Les bouteilles se couchent, éditions Allia & La Veuve blanche et noire un peu détournée, éditions Sens & Tonka.
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