L’auteur l’écrit en préambule et son conseil est bien utile : il faut se rendre, avant de commencer à lire Continuation de détails,
à la page 68 du présent livre pour savoir de quoi il s’agit et comment
est né (et s’est construit) ce "journal fantasque" qu’il a extrait de sa
malle à carnets et qui sort quelques années après avoir été conçu. Ce
sont les notes qu’il a accumulées au jour le jour, au fil de l’année
2007, qui servent de matériau à ce qui fut ensuite revu, relu, corrigé,
annoté, raboté et retravaillé.
« C’est un journal rapide, sans raison et faux ; infinitif pour vite aller. »
Et c’est effectivement la rapidité, l’envie irrépressible de sauter
du coq à l’âne, selon l’humeur, sans jamais s’attarder, en contournant
le « je », en suivant le cours du temps qui file, en sauvant quelques
uns des moments saillants qui entrent à l’improviste dans l’histoire
des journées, c’est cette multitude de détails transcrite avec fougue et
enthousiasme qui frappe et séduit. Passer du coq à l’âne permet en
outre d’assembler, ainsi que le fait continûment la mémoire, des
fragments de vécu qui n’ont pour plus petit dénominateur commun que
d’être entrés en contact avec celui qui s’en empare. Tous figurent dans
le journal, guidés et articulés par une écriture qui recherche (et
trouve), d’une séquence l’autre, une respiration ample et maîtrisée.
« Dans un total dérèglement qui détraque le jour avec le soleil et la
douceur, il est bon de s’inquiéter pour rien, aussi donc qu’une chose à
faire, lever le stylo, sans aucune logique, il n’y a de logique en
rien, comme une anguille le texte est tronçonné afin que les tronçons
bougent dans la poêle pendant la cuisson. »
Ce que note Jean-Pascal Dubost touche à l’infime et à l’infini. Il
dit le quotidien, évoque ses rencontres, ses lectures, parle des lieux
où il se trouve (chez lui, au calme, en forêt de Brocéliande ou dans le
brouhaha des villes, au Brésil ou au Maroc, ou quelque part en France)
tout en restant volontairement un peu en retrait. Ce qui l’intéresse,
c’est cette continuation, cette avancée qui jamais ne doit s’interrompre et qu’il porte grâce à l’énergie qu’il donne à sa
langue. Il la brasse, la nourrit, lui procure une cadence inouïe.
Il n’oublie pas, ne peut pas, tant il vit avec intensité
(en lui-même mais aussi avec les autres), ce qui bouge, se fracture,
fait peur et parfois honte, tout autour, dans le monde ou dans l'hexagone en
cette année 2007.
« L’Irakien traîné en laisse comme un chien est une victime qui émeut
le monde entier des écrivains choqués ; c’est un syndrome, mais quel
nom porte ce soleil qui vieillit ? »
Il prend à bras le corps cette matière abondante, puis il la
condense et la relie en blocs de prose fluides qui, mois après mois,
offre une belle densité au millésime en question.
Il publie, parallèlement, Sur le métier, un ouvrage qui
reprend les « entretiens infinis » qu’il avait accordés à Florence
Trocmé pour le site Poezibao. Ils sont ici revus et retravaillés. On y
retrouve, en différents chapitres (« de l’extraction », « du baroque »,
« du travail », « du défait », « du compost », etc) ce qu’est le métier
d’écrire pour celui qui a su se forger une langue extrêmement
singulière. Il rappelle également la nécessité qu’il ressent à tenir
en permanence ses carnets ouverts.
« J’ouvris des carnets pour l’essentiel dessein d’écrire sans fin,
tout et n’importe quoi, pourvu que l’esprit fit son exercice : des notes
de lectures, du lexique, des textes délirants, des recensements
d’objets échappés, des proses ferroviaires, ou de voyage, ou de
résidence, horticoles, anthologiques, des recopiages, etc. Le premier
janvier 2000, j’ouvris un cahier-total : que j’ai appelé « mémento »,
(en latin : « souviens-toi »).
Jean-Pascal Dubost : Continuation de détails, dessins de Jean-Claude Saudoyez, éditions L’âne qui butine.
Sur le métier, entretiens avec Florence Trocmé, éditions Isabelle Sauvage.
Jean-Pascal Dubost était en résidence d’écriture à la bibliothèque Saint-Nicolas à Angers en automne 2014. On peut découvrir le blog de la résidence ici. (le cliché qui sert de logo à cet article en est extrait).
Jean-Pascal Dubost : Continuation de détails, dessins de Jean-Claude Saudoyez, éditions L’âne qui butine.
Sur le métier, entretiens avec Florence Trocmé, éditions Isabelle Sauvage.
Jean-Pascal Dubost était en résidence d’écriture à la bibliothèque Saint-Nicolas à Angers en automne 2014. On peut découvrir le blog de la résidence ici. (le cliché qui sert de logo à cet article en est extrait).
"Sauter du coq à l'âne" "multitude de détails" dis-tu. Je crois, en effet, qu'il y a là force du poème.
RépondreSupprimerJ'écris ainsi ! Rien ne se rencontre sur une même page, notes de voyage, de lecture, premier jet de poème... rien n'est là au hasard et tout doit être repris dans le texte abouti !
Oui, Serge, c'est tout à fait ça. A très bientôt.
Supprimer