Lors de ses voyages à l’intérieur des États-Unis, pays dans lequel il a
vécu de 1965 à 2000, James Sacré a acheté de nombreuses cartes postales
datant de la fin du dix-neuvième siècle ou du début du vingtième. Il
s’est tout particulièrement tourné vers celles où étaient représentées
des femmes indiennes. C’est en partant de quelques unes de ces photos
qu’il a conçu la suite de poèmes qu’il donne à lire aujourd’hui. Ce
qu’il interroge, et son titre même est en ce sens explicite, c’est la
relation qui peut s’instaurer entre l’image et celui qui la scrute.
Question de regard mais aussi de réflexion et de culture. Pour rendre
ces clichés expressifs, il ne se sent pas obligé de les reproduire et
c’est l’un des paris du livre, les lavis de Colette Deblé, réalisés "à
partir de", les remplaçant judicieusement. Il faut par contre saisir
l’expression des visages et l’intensité des regards en faisant en sorte
que l’image bouge sur la page. C’est ce à quoi il s’attache. Il remet
en route ces instantanés, s’immisce dans la pensée de celles qui posent
et donne des indices quant à leur quotidien en s’attardant sur tel ou
tel détail.
« Je me demande
Si son regard s’interroge à propos du photographe ou s’il pense
Au travail qui reste à faire, ou peut-être
Au plaisir d’être là dans les couleurs de terre
Celles des laines, avec ce dessin du tapis
Qui vient, qui reste vivant
Dans sa tête et ses mains. »
Si son regard s’interroge à propos du photographe ou s’il pense
Au travail qui reste à faire, ou peut-être
Au plaisir d’être là dans les couleurs de terre
Celles des laines, avec ce dessin du tapis
Qui vient, qui reste vivant
Dans sa tête et ses mains. »
Il suggère, par touches brèves, en déployant cette écriture sinueuse
qu’on lui connaît, qui est toute modestie, simplicité, hésitation, ce
que pouvait être la vie de ces femmes qui travaillaient dans le tissage
ou la poterie en ne s’arrêtant que pour répondre à la demande d’un
photographe qui aura (tandis qu’elles resteront anonymes) son nom
inscrit au dos de la photo.
« Les femmes navajos ne sont pas, c’est sûr
Que figures de cartes postales, ni les femmes hopies
Ni celles d’autres tribus – ce drôle de mot, tribu
Comme encore un viseur d’appareil photo
Qui ne prend que des clichés. Et clichés
Que propose aussi mon poème. »
Que figures de cartes postales, ni les femmes hopies
Ni celles d’autres tribus – ce drôle de mot, tribu
Comme encore un viseur d’appareil photo
Qui ne prend que des clichés. Et clichés
Que propose aussi mon poème. »
Il ne s’appuie pas uniquement sur ces images qui datent de plus d’un
siècle. Le fait d’avoir vécu sur place, d’ avoir longuement côtoyé des
femmes indiennes, l’aide à passer par delà les époques et à dire le
présent de celles dont on a volé la terre d’origine. Il les croise au
marché aux puces de Gallup ou « dans le coin cafeteria d’un magasin
Bashas’, à Kayenta ». Il leur parle, les écoute, évoque leur douleur et
leur fierté. Se sait relié à elles par des liens profonds, ancestraux,
qui ont à voir avec la simplicité des vies pauvres et des travaux de la
terre.
James Sacré : Ne sont-elles qu’images muettes et regards qu’on ne comprend pas ?, lavis de Colette Deblé, collection Ecri(peind)re, éditions Aencranges & Co.
James Sacré : Ne sont-elles qu’images muettes et regards qu’on ne comprend pas ?, lavis de Colette Deblé, collection Ecri(peind)re, éditions Aencranges & Co.
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