“Que puis-je dire, maintenant que j’atteins l’âge où lui-même est mort, de notre longue relation ?” 
Nîmes, le 10 août 1988. Philippe Jaccottet est présent, avec une vingtaine d’autres, devant le caveau ouvert où va bientôt reposer le corps de Francis Ponge. Il évoque la cérémonie dans un texte aussi sobre que celle-ci et avec une propension à être simultanément là et pas là qui lui permet de ramener à nouveau, et pendant quelques instants, de ce côté-ci de la terre celui qui n’y est plus. La façon avec laquelle il convoque le poète en se remémorant ce dernier hommage est on ne peut plus attachante. Il s’arrange pour prolonger ce moment partagé en y insérant des retours au passé (les discussions lors de ses visites rue Lhomond) et en s'attelant, par touches successives, à la description du lieu où sa pensée prend forme. Il y ajoute le calme de l’été, l’enceinte ombragée, le chant des cigales, la lecture d’un psaume de David puis celle du Pré par Christian Rist et l’extrême retenue des proches.
Nîmes, le 10 août 1988. Philippe Jaccottet est présent, avec une vingtaine d’autres, devant le caveau ouvert où va bientôt reposer le corps de Francis Ponge. Il évoque la cérémonie dans un texte aussi sobre que celle-ci et avec une propension à être simultanément là et pas là qui lui permet de ramener à nouveau, et pendant quelques instants, de ce côté-ci de la terre celui qui n’y est plus. La façon avec laquelle il convoque le poète en se remémorant ce dernier hommage est on ne peut plus attachante. Il s’arrange pour prolonger ce moment partagé en y insérant des retours au passé (les discussions lors de ses visites rue Lhomond) et en s'attelant, par touches successives, à la description du lieu où sa pensée prend forme. Il y ajoute le calme de l’été, l’enceinte ombragée, le chant des cigales, la lecture d’un psaume de David puis celle du Pré par Christian Rist et l’extrême retenue des proches.
« Un pasteur si extraordinairement modeste et discret qu’on l’a pris 
d’abord, quand il est descendu de sa bicyclette et l’a accotée au mur du
 porche, pour un aide-jardinier, (…) choisit de lire au seuil de la 
tombe, “parce que le défunt avait été un poète”, expliqua-t-il, lui qui 
ne l’avait probablement jamais lu, un psaume, l’un des plus familiers à 
quiconque a reçu une éducation chrétienne : “L’Éternel est mon 
berger”... »
Mais Jaccottet ne s’en tient pas là. Il explique, dans un autre 
texte, bien plus long et tout aussi fouillé que le précédent, ouvrant 
plusieurs parenthèses, flânant au fil de sa réflexion, ce qui le lie à 
celui qu’il a d’abord admiré  avant qu’ils ne deviennent amis, et ce qui
 parfois le sépare de lui. Ponge maîtrisait l’art de la provocation avec
 un aplomb qui  pouvait irriter. Le piédestal sur lequel il  plaça 
Malherbe,  le situant très au-dessus de Góngora, de Cervantès et de 
Shakespeare, le laisse, par exemple,  pantois. Il explique son 
désaccord. Et  d’autres encore, inhérents à la personnalité d’un homme 
qui aimait lancer des défis, sans que ceux-ci n’altèrent leur amitié.
« Ces outrances, derrière lesquelles il me semble voir transparaître 
le sourire quelque peu chinois de l’auteur, n’étaient-elles pas, pour 
une part (…), la juste dose d’alcool fort qu’il lui fallait pour se 
lancer à l’assaut des vieilles citadelles lyriques et démolir le 
sempiternel “manège” – c’était son terme – ancien ? »
Ses réserves restent extrêmement pondérées. Il y a chez Jaccottet 
beaucoup de reconnaissance vis à vis de Ponge. Il dit d’ailleurs qu’il 
n’aurait pas été capable d’écrire certains de ses textes s’il ne l’avait
 pas lu. 
Dans sa postface, datée de décembre 2013, il revient, alors que bien des années se sont écoulées depuis ce jour du mois d’août 1988, sur leur longue relation. Il se déleste de détails qu’il n’avait jusqu’alors jamais donnés à lire, disant et rappelant à nouveau ce qui, indéfectiblement, les lie.
Dans sa postface, datée de décembre 2013, il revient, alors que bien des années se sont écoulées depuis ce jour du mois d’août 1988, sur leur longue relation. Il se déleste de détails qu’il n’avait jusqu’alors jamais donnés à lire, disant et rappelant à nouveau ce qui, indéfectiblement, les lie.
« Persistait (...) en moi un grand souci de rester juste envers un 
auteur que je n’ai cessé d’admirer (mais, cela ressort à l’évidence de 
ce texte, non sans de sérieuses réserves quelquefois) et envers un homme
 pour qui je n’ai jamais cessé non plus de nourrir une grande 
affection. »
Philippe Jaccottet : Ponge, pâturages, prairies, Le Bruit du temps
Philippe Jaccottet : Ponge, pâturages, prairies, Le Bruit du temps



