Lire les romans de mémoire d’Alfons Cervera, c’est se familiariser
assez vite avec des lieux qui résonnent ensuite longuement en nous. On
se retrouve peu à peu en train de sillonner les rues de Los Yesares (le
village) ou accoudé au comptoir de La Agricola (Le bar) en compagnie de
quelques habitués qui retracent l’histoire du coin et tout
particulièrement la chronique des années noires, la lutte contre le
franquisme et le départ de plusieurs d’entre eux vers des contrées moins
barbares. Les descriptions de l’auteur et sa façon de brosser les
portraits de personnalités profondément humaines ne sont pas pour rien
dans l’embarquement immédiat du lecteur pour cette petite ville
espagnole où bat le pouls d’une œuvre étonnante.
« Mes romans naissent à partir d’un territoire moral qui est le lieu
où je suis né, la maison où je continue de vivre tant d’années après,
les personnages qui, avant de devenir des êtres de fiction, ont été et
sont mes amis de toute la vie. »
C’est de ce lien étroit entre réalité et fiction qu’il est ici
question. Pour Alfons Cervera, « elles sont presque toujours une seule
et même chose ». Il lui suffit de retourner à Los Yesares (ou à
Gestalgar, province de Valencia), là où ses romans prennent racines
pour s’en convaincre. De nombreuses années se sont écoulées, bien des
personnages ont disparu, certaines maisons sont devenues des ruines mais
la mémoire collective, celle que tisse tout un chacun en la
transmettant aux autres, et ce de génération en génération, reste
vivante. Elle l’est même, et peut-être encore un peu plus qu’ailleurs,
au sein du cimetière civil, dans l’enclos où reposent les morts
clandestins, à savoir les suicidés, les « rouges » et les enfants
nouveau-nés.
« C’étaient les années du franquisme. L’église catholique imposait
ses règles. Seuls étaient inhumés en terre sacrée les corps
incorruptibles de ceux qui étaient morts en état de grâce, tous leurs
péchés absous par Dieu, la conscience tranquille d’une conduite
irréprochable. Tout n’était que mensonge. Tout continue de n’être que
mensonge »
Chacun des lieux évoqués et revisités dans ce livre est précédé
d’une photo et d’un court extrait y ayant trait. Si Alfons Cervera y
revient, c’est pour dire ce que constituent ces différents endroits dans
son itinéraire. Se trouvent ici et là une part de lui-même et un
fragment important de sa mémoire. Les relier à nouveau l’aide à cheminer
assez sereinement dans son passé. Il explique comment sont nés certains
de ses textes. Ce qu’il doit à ses proches. À tous ceux qui lui ont
fait partager ce qu’il peut à son tour donner aux autres. En créant,
adossé au réel. Conscient que le roman, tel qu’il le construit, ne
ment pas.
« La fiction est le réel. Antonio Machado le disait : la vérité, on
l’invente aussi. Les romans construisent une autre réalité. Comme s’ils
mentaient. Mais ils ne mentent. »
Alfons Cervera : Les chemins de retour, traduit de l’espagnol par Georges Tyras, Éditions La Contre-Allée.
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