L’histoire débute au moment même (au milieu du vingt-et-unième siècle)
où les pans du grand barrage qui coupait un territoire du Moyen-Orient
en deux commencent à se fissurer. Cela a lieu vingt ans, jour pour jour,
après la mort de Walid, un adolescent tué dans des conditions mal
élucidées alors qu’il faisait voler son cerf-volant au-dessus de cette
frontière imposée. C’est cet événement qui est au centre du livre.
Quatre personnes (Daniel, un ancien moine, Mike, le responsable du
checkpoint, Djibbril, le "Parisien Volant", chef des Border Angels
et Samuel, ancien observateur de l’ONU) prennent tour à tour la parole
pour rappeler qui était Walid et quel fut son combat. À ces voix, se
joignent celle du disparu lui-même ainsi que le chœur des femmes qui
scandent leur révolte.
« Tu es né avec ce siècle, Walid, mais tu n’auras connu que l’ère des
serpents d’airain, des voûtes de verre et des vols de bourdons. Tu
n’auras pas vu les murs tomber, s’ériger de nouveau, retomber, tu
n’auras pas vu revenir dans nos chaumières la peur des barbares, à
l’heure où les vieilles frontières se secouent telles des chaînes de
volcans mal éteints. »
Walid Al-Isra est devenu au fil du temps, et par delà la mort, une
figure de cet archipel qui regroupe de nombreux confettis de terre, et
autant de colonies, disséminées derrière le mur. Pour défier les
autorités qui furent à l’origine de l’imposante clôture, l’adolescent
avait trouvé un moyen plus efficace que les lancers de pierres ou de
roquettes. Il s’était mis à fabriquer des cerf-volants qui déployaient
leurs formes colorées et leurs messages codés de l’autre côté du grand
barrage.
« J’ai cru un instant qu’il était ressuscité. Qu’il revenait sur
terre pour exiger l’éclaircissement de cette affaire. Pour obtenir un
procès. Walid Al-Isra, oui, le révolté au cerf-volant, comme ils
disaient là-bas. Cette graine de terroriste qui nous aura bien roulé
dans la farine. Cette petite frappe que le monde entier nous accuse
d’avoir pulvérisée. »
Celui qui parle ainsi, c’est Mike, l’officier de réserve en charge du
checkpoint, qui se souvient lui aussi, alors que le béton est en train
de céder, et qui explique comment on décida un jour de "neutraliser" ce
gamin qui se servait de son jouet volant en le transformant en une arme
redoutable, dissimulant peut-être en son centre un drone actionné à
distance.
« Ce jour-là, les longues heures de traque étaient infinies, tu voyais Walid zigzaguer sur l’écran derrière son machin volant. »
L’explication finale, c’est Walid en personne qui la dévoilera. Mais
auparavant les voix (différentes et complémentaires) se succèdent et se
libèrent, plusieurs fois de suite, disant la répression, l’impossibilité
de vivre dans la peur, exprimant les colères et les violences, notant
la montée des fondamentalismes, l’arrivée des "barbuques" et de leur
armée noire dans des pays proches, donnant à lire la géographie des
lieux et leurs enjeux stratégiques, tout au long d’un roman intense et
envoûtant. Emmanuel Ruben développe son texte en lui procurant une
grande ampleur. Sa narration monte par paliers. Il fait bouger son récit
dans quelques unes des zones les plus sensibles du monde. Il nous
offre, de plus, çà et là, des indices précieux pour localiser les lieux
où se situe cette épopée pleine de voix vives, de vécus douloureux et
de tensions exacerbées.
Emmanuel Ruben : Sous les serpents du ciel, éditions Rivages.
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