Fayolle a été le théâtre d’un événement à peine croyable. Un Anglais,
venu d’on ne sait où, probablement d’Angleterre, et qui descendait vers
le Sud, s’est arrêté en ville. Il portait sur son dos un formidable
barda. Un sac de géant qui dépassait d’un bon buste d’homme du haut de
son dos. Le soir de son arrivée, il a trouvé à se loger chez l’habitant
et est reparti bien avant l’aube, avançant droit devant lui, sans se
retourner, disparaissant derrière les forêts et les collines. Il n’a
refait surface que le lendemain soir, défaisant son bagage pour offrir
un spectacle de marionnettes aux habitants réunis sur la Grand Place
avant de passer la nuit allongé sur l’une des tables du café d’en face.
C’est le jour suivant que l’incroyable a eu lieu.
« Le premier geste que l’on a eu a été de tendre les bras pour le
retenir, pour l’empêcher d’aller se fendre le crâne sur les pierres plus
bas, on a fait un bond vers lui mais déjà il avait basculé, c’était
trop tard, il s’était élancé, on a crié : Il est fou ! ».
L’Anglais, en présence de nombreux villageois qui l’avaient
accompagné jusque là, venait de s’élancer du haut du plateau au bord
duquel il s’était figé. Tous ont préféré fermer les yeux à cet instant
précis et ne les rouvrir que pour se pencher face au vide afin de voir
ce qu’il en était de l’homme démantibulé qui devait s’être écrasé en
contrebas.
« On l’a aussitôt cherché vers le bas, certain de voir son corps
emporté dans le vide ou rebondir contre les rochers, immobilisé dans un
creux ou brisé contre l’arête d’une roche. »
Ne voyant rien, plusieurs eurent le réflexe de lever les yeux et c’est là qu’ils l’aperçurent pour la dernière fois.
« Il était déjà haut, les bras étendus pour se donner de l’équilibre,
il était déjà au-dessus des nuages, on a vu sa silhouette glisser sur
le fond des nuages et du ciel. »
C’est cette histoire que se remémorent les villageois réunis dans la
salle du café. Tous ceux qui l’ont vu, de près ou de loin, racontent ce
qui les a fascinés dans l’attitude de l’Anglais qui est reparti de
Fayolle en volant, emportant avec lui ses secrets et ce grand sac qui
contenait ce qui, d’habitude, tient plutôt dans une maison. Il y
transportait une bibliothèque, des dizaines de livres, des cartes, une
table pliante avec des bancs, des ustensiles de cuisine, de nombreux
plats, des chaussures, une toile de tente, du thé, des théières, etc.
Le livre de Benoît Reiss se rapproche beaucoup du conte.
L’invraisemblable y noue sa légende. Il devient réel. Détient sa part
de vérité. Et accueille la fantaisie à bras ouverts. Il y a dans ce
roman (réjouissant et plein de surprises) une fraîcheur, une légèreté et
des bouffées d’air pur qui stimulent l’imagination, y faisant entrer
des rêves capables de prendre de la hauteur pour mieux saisir les
morceaux d’un territoire (tout particulièrement le Café de la Place à Fayolle) en train de tisser sa propre histoire en dessous.
Benoît Reiss : L’Anglais volant, Quidam éditeur.
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