Il y a longtemps que Jean-Christophe Belleveaux parcourt le monde,
tout particulièrement l’Asie et l’Afrique. Sa solitude et sa mélancolie
l’accompagnent. Il s’arrête là où bon lui semble. Ne cherche pas
l’anecdote, le personnage atypique, le paysage étincelant. Ce n’est pas
cela qui l’attire. Il se pose. Redouble d’attention. Se frotte aux murs
lézardés, traverse les places, se glisse dans la poussière des rues,
écoute le brouhaha d’un marché, d’un café, d’un port et en extrait des
vignettes où apparaissent fugitivement quelques uns des lieux où il
s’est arrêté.
« Er Riadh
dans le dépouillement de la poussière, l’évidence de la route et de
son terme éclabousse : friperie à même le sol, lentilles séchées, sacs
ventrus d’épices et de graines, pois cassés, moutons, vent de sable,
murs blancs
l’innocence et la faute indissolubles : une seule huile pour la lampe »
Il circule « dans l’espace étroit du monde ». Se déplace avec
légèreté, presque incognito, arpente les rues d’Ambarita ou de Tunis ou
encore de Zaafrane ou de Chiang Khan et note ce qui, instantanément,
aiguise ses sens.
« Teluk Dalam
on se tient dans l’impermanence, l’avéré d’un cargo au port, l’odeur
forte des poissons qui sèchent sur le sol, soi-même un morceau parmi les
couleurs, c’est bien peu, c’est une vie qui s’emplit de ce qu’elle est,
qu’on ne sait dire le plus souvent »
Les territoires qu’il explore ne sont pas uniquement extérieurs. Le
livre débute par un texte à flux tendu, une prose à plusieurs étages,
intitulée « Fusée », où il se retrouve pris dans les méandres de son
cadastre intérieur. Le cheminement s’avère dès lors plus douloureux. Il
lui faut composer avec ses angoisses et ses peurs, les traverser et les
réduire pour pouvoir tenir. Et c’est l’homme à vif, jamais plaintif mais
furibond, en colère, qui s’interroge, essaie de comprendre, s’en remet
aux mots pour exprimer ce qu’il vit et ce qui l’étouffe.
« écrire, nommer,
non pour donner plus de consistance au réel mais, dans ce décalage entre la chose nommée et l’écrit qui la désigne, pour donner du jeu, un espace où cesser d’étouffer »
non pour donner plus de consistance au réel mais, dans ce décalage entre la chose nommée et l’écrit qui la désigne, pour donner du jeu, un espace où cesser d’étouffer »
Si le mal-être enraye parfois son désir de partir, il est un autre
élément qui fait – ou a fait – de lui, à un moment donné de son
existence, un voyageur contraint à l’immobilité physique. C’est
l’enfermement. Entre quatre murs ou en soi. Ce qui fait d’autant plus
bouillir sa langue, et lui avec, qui se tend, s’échappe à sa façon et
rue dans les brancards, tout au long de « prison(s) » , ultime texte
du livre, prose percutante, entêtante et forcément inquiétante.
Jean-Christophe Belleveaux : Territoires approximatifs, éditions Faï fioc.
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