En retraçant pas à pas la vie et l’œuvre de Camille Corot (1796-1875),
Françoise Ascal fait sortir de l’ombre un autre Camille, un de ses
lointains ancêtres (le frère de sa grand-mère), mort au début de la
Grande Guerre à l’âge de dix-neuf ans. Plus elle s’attache au peintre,
évoquant ses voyages initiatiques en Italie avant de se pencher sur ses
remarquables représentations des arbres, sur son attachement à l’image
de la liseuse (visible dans nombre de ses tableaux), sur ses
reprises incessantes de paysages (saisis d’abord sur des
carnets puis repris en atelier), plus se dessine, en
filigrane, la présence du jeune homme à la vie fauchée.
« Vous auriez pu arpenter les mêmes terres, longer les mêmes
rivières, graver vos initiales sur les mêmes écorces de frêne. Vous
cohabitez sous mon crâne sans égard pour le temps. »
Ces deux destins si différents s’entrelacent. Attirée par les
rivières, par leurs eaux apparemment calmes, les ciels, les berges et
les arbres qui s’y reflètent, Françoise Ascal retrouve chez Corot des
paysages qui furent non seulement ceux de son enfance mais aussi ceux
que fréquenta, durant sa courte existence, son ancêtre paysan.
« Rien ne justifie ces va-et-vient entre vos deux êtres, si ce n’est
les mouvements de l’eau, les ruisseaux, les étangs, les barques qui
traversent vos vies et la mienne, tissant un écheveau de sens caché, une
écriture d’herbes et de nuages que je ne saurais déchiffrer mais qui
ressemble à un appel. »
C’est cet appel – né de sa mémoire familiale et renforcé par
l’attraction qu’exerce sur elle « les moments d’entre-deux » (tout
particulièrement l’aurore et le crépuscule) peints par Corot – qui la
guide. Pour y répondre, il lui faut s’appuyer sur le lent cheminement de
celui qui consacra toute sa vie à son art, ne vendant sa première toile
qu’après ses cinquante ans. Souvent « accusé de naïveté, de maladresse,
de gaucherie, d’indécision », il fut toujours soutenu par Baudelaire
qui trouvait que rien, chez lui, « n’est inutile, rien n’est à
retrancher ». « M. Corot peint comme les grands maîtres », ajoutait-il.
Elle s’adresse à lui, le tutoie, lui dit comment elle reçoit son œuvre,
ce que cela lui apporte, ce que ses émotions et sa sensibilité y
perçoivent, le réconfort qu’elle y trouve, la sagesse qu’elle y détecte
et l’idée apaisante qui lui vient d’imaginer parfois l’autre Camille
couché sous terre, à l’ombre d’un arbre et à proximité d’un cours d’eau,
reposant dans un tableau du peintre. Où elle s’en irait bien, elle
aussi, le moment venu, dormir.
« Bientôt je rejoindrais le pays de Camille, cela sentira l’herbe
fraîchement coupée, la rivière fera entendre son roulis, les saules
argentés bruisseront sur fond bleu, longuement je m’imprégnerai de ce
paysage d’enfance encore épargné par les métamorphoses urbaines. Je
serai une fois encore dans un Corot. Un Corot vivant. »
Françoise Ascal : La Barque de l’aube, préface de Charles Juliet, Arléa.
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