C’est dans un lieu isolé, au creux des Ardennes, à la frontière entre
la France et la Belgique, que Françoise Louise Demorgny situe son
nouveau récit. Elle effectue un retour en arrière. Elle s’arrête sur
quelques uns de ceux qui vivaient là, disséminés dans les hameaux,
cultivant la terre, circulant entre les champs, les cours de ferme, les
berges d’un l’étang et le poste de douane. Tous subsistaient sans faire
de bruit et se retrouvaient le dimanche à l’église où chaque famille
avait un banc à son nom. C’est là que l’on partageait les nouvelles. Là
aussi que naissaient de précoces attirances. Celles-ci ne débouchaient
la plupart du temps sur rien mais s’imprimaient dans la mémoire et y
restaient longtemps.
C’est l’un de ces élans d’enfance, inexplicable, qu’évoque ici la
narratrice. Elle le fait en trois temps, qui correspondent à trois
périodes de sa vie. D’abord au début des années cinquante, puis à la fin
de cette même décennie et, enfin, quarante ans plus tard, au moment où
elle revient visiter ce territoire qu’elle a quitté.
« J’arrête mon pas à chaque maison. Je nomme tout bas chacune par son petit nom, celui de son propriétaire d’autrefois. »
Tous les anciens ont fini par lever l’ancre. Ils sont allés rejoindre
celui qu’elle ne cessait jadis de dévisager, mais qui ne répondait
guère à ses regards et que l’on disait prêt à s’engager dans la
prêtrise, ce qu’il aurait peut-être fait si la guerre d’Algérie n’avait
pas brisé sa trajectoire. C’est autour de lui, Jean-Baptiste, pulvérisé
par une mine en 1959, que tourne ce récit elliptique et habité. Autour
de sa présence et de son absence
« Thérèse, la mère de Jean-Baptiste, se tenait debout. Droite et sans
larmes, elle tenait son mari par la main comme on promène un petit
enfant et il la suivait sagement. C’est lui, Pierre Louviers, qui me
faisait pleurer.
Jean-Baptiste repose ce soir en terre natale, comme a dit Monsieur le Curé. À deux pas du Grand Dhuy. »
Jean-Baptiste repose ce soir en terre natale, comme a dit Monsieur le Curé. À deux pas du Grand Dhuy. »
Ciselant son texte avec une rare économie de mots, elle parvient, en
retraçant le cheminement de quelques villageois et le destin cruel de
l’un des leurs, à faire revivre une poignée d’habitants, et
particulièrement une famille, les Louviers, qui s’est désormais presque
éteinte et dont la dernière flamme, en réalité une frêle lueur qui
vacille à l’intérieur d’une ferme isolée, n’est plus tenue que par
l’ultime fils, devenu éleveur d’une ancienne race de moutons, les Roux d’Ardenne.
« Il s’en est fait une famille qui peuple tous les instants de sa vie
d’ermite et la beauté ambrée de son troupeau lui est consolation. »
L’esprit des lieux perdure. Dans les mémoires et au cimetière. À
travers le paysage, dans les joncs près de l’étang ou porté par le vent
qui s’engouffre entre les rangées de peupliers. Et ce grâce à l’écriture
plutôt apaisante de celle qui effectue ce retour aux origines en
invitant ceux qu’elle côtoyait autrefois à l’accompagner le temps d’un
récit.
Françoise Louise Demorgny : Un écart, éditions Isabelle Sauvage.
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