« Dans la poésie comme dans une isba au cœur de la forêt le voyageur doit trouver tous les objets de première nécessité : allumettes, pain, sel, hache, un puits pas trop loin. J’ai vite fouillé dans mes vers et j’y ai trouvé tout cela », écrit-elle en 1996 à propos des caractéristiques de ses poèmes.
Pendant des années, son œuvre, aujourd’hui unanimement reconnue comme l’une des plus importantes de la poésie russe de la seconde moitié du vingtième siècle, était impubliable dans le circuit éditorial soviétique et ne paraissait que dans des revues clandestines. Elle ne sort de l’espace réduit du samizdat que vers le milieu des années 1980, d’abord à l’étranger puis, un peu plus tard, en Russie où, à partir de 1995, les parutions de ses poèmes, proses et journaux se succèdent.
Son parcours est minutieusement reconstitué par Hélène Henry, qui la connaissait et à qui l’on doit la traduction de ce choix de poèmes. Ils sont disposés dans l’ordre établi par Elena Schwarz quand elle a conçu le premier volume de ses œuvres complètes. On y découvre des textes denses, lyriques, parfois baroques, élégiaques, empreints de spiritualité et dotés d’une verve théâtrale où on la voit évoluer sur le fil, entre la vie et la mort, entre ciel gris et rues froides, entre l’oiseau et la branche, entre le feu et l’eau, dans une ville, Saint-Pétersbourg, qu’elle explore jour et nuit.
« Le défunt peuple de Saint-Pétersbourg
Neige à petits flocons parmi les vivants,
S’engouffre dans les filets en pêche nombreuse
Tout en haut de tes ruelles.
Le désastre ici a passé toute mesure :
Me voici marchant au fond de l’eau,
Et à travers mes côtes se faufilent,
Tels des alevins : cochers et
Cousettes, mouchards, concierges.
Ils m’ont toute dévorée, percée,
Comme un tamis tiède aux mailles fines. »
« J’ai été une poétesse romaine,
Une renarde chinoise,
On ne sait quel poète estonien,
Une nonne insensée,
J’ai été le vide, le souffle de la nuit,
L’amante de l’un, l’amie d’un autre,
Me voici devenue tison
Tison qui parle
Et danse sur sa queue
Comme un serpent. »
Ses thèmes sont nombreux. Ce sont l’eau, le feu, la solitude, Saint-Pétersbourg, la Fontanka (le bras de la Neva qui traverse la ville), les métamorphoses étonnantes, les animaux familiers, les scènes et personnages mythologiques, le théâtre vivant dans ou hors les murs. Ils s’accordent au temps présent et se déploient grâce à un imaginaire très habité. Par sa spiritualité, son environnement immédiat, ses rêves, ses doutes, ses souffrances et les imprévisibles soubresauts de sa vie intérieure. Elle puise dans sa grande culture et dans sa vaste connaissance de la poésie russe (et étrangère) pour donner toujours plus d’allant, de teneur, de richesse à ses poèmes.
« Le matin. Entrer toute molle dans la cuisine, -
Une moitié de pomme, pas de pain,
Sur la table le Khlebnikov noir,
C’est déjà ça.
Il faut le manger, les enfants,
Le pain noir deviendra vodka violette,
La tête dans le noir respirera vermeille,
Et vous parlerez en langues. »
Née en 1948, Elena Schwarz est décédée en 2010. Si quelques uns de ses poèmes ont précédemment été traduits en français, publiés dans la Revue des Belles Lettres et dans la petite Bibliothèque Russe des éditions Alidades, il manquait cependant un volume conséquent pour permettre de la lire plus longuement. C’est désormais chose faite, grâce à ce choix de poèmes (écrits entre 1972 et 2010) qui avoisine les 180 pages.
Elena Schwarz : Élégie sur une radiographie de mon crâne, poèmes traduits du russe et présentés par Hélène Henry, éditions Les Hauts-Fonds.
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