Au printemps, paraissait Déploiement, livre idéal pour se familiariser avec sa démarche poétique. Celui qui se disait volontiers « piéton métaphysique », (Alain Roussel, l’un de ses proches compagnons de route, le rappelle en quatrième de couverture) arpente la ville jusque dans ses recoins. Son regard est perçant. De nombreux détails l’attirent qui lui permettent d’associer ce qu’il voit aux sensations innées qu’il ressent instantanément. Il n’en faut pas plus pour que les mots s’emboîtent. Pour que le surréel s’en mêle. Pour que les images foisonnent.
« Midi Le centre de la ville est un steak chaud et saignant
fendu par le couteau d’un convive
Un autre est gagné par une pensée encore floue
elle virevolte et monte dans sa chair le fait danser
comme un derviche tourneur
Mon front à présent est fait du bois
de la table où il s’appuie »
Il se laisse surprendre par les étrangetés du quotidien. Celui-ci regorge de faits, de reliefs, d’objets apparemment anodins qui méritent plus qu’un regard désinvolte puisque ce sont eux qui éclairent et nourrissent son parcours de marcheur. Il s’arrête fréquemment. Une statue, un monument peuvent servir de révélateur et générer une image issue de son subconscient. Il saisit une scène parmi d’autres. Repère l’improbable et l’étonnant là où d’autres ne verraient que de l’ordinaire. Il croise d’innombrables promeneurs de chiens. Parle de ses dents neuves. S’assoit en terrasse et s’offre une Pilsen, un en-cas ou une métaphore culinaire. Qu’il déguste en y pressant un zeste de vision intérieure.
« Le jaune d’un œuf nous regarde du fond de sa coque
comme un Indien de sa réserve saluons-le au moins
avant de l’avaler »
« J’achève de manger une salade de poissons
sans cesser d’écrire même la barquette vide fait désormais partie du poème
qu’on soit d’accord ou pas Moi-même inclus bien sûr
mais à présent pour changer j’ai l’impression
d’avoir à la place d’une dent un morceau de céleri
ou de betterave transparente
Allées et locomotives yoles composent le paysage
Postes socquettes et cistes ne forment que l’ultime vers »
C’est un monde parallèle, celui qui échappe au terre-à-terre, celui qui remue dans les angles morts, derrière les portes cochères, entre des volets entrouverts ou dans les interstices des stores ajourés, qu’explore Petr Král. Il y détecte des présences concrètes et infimes qui égaient ses pérégrinations dans la ville. Il sait, par expérience, que la surprise se trouve dans la rue. Et qu’il ne pourra s’en délecter que s’il parvient à mettre, au préalable, son être tout entier en état d’alerte.
Petr Král : Déploiement, Éditions Lurlure.
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