mercredi 26 juin 2024

Malcool / Coeur sucré

Il a vu des hommes, des femmes tituber, chanceler, tomber, n’être plus en capacité de maîtriser leurs gestes, leur corps et encore moins leurs pensées. Il les a vus abuser, être abusés, s’abîmer, partir en vrille et parfois même mourir (maladies, suicides, accidents) après avoir beaucoup bu, parfois pour imiter les autres, pour être des leurs, souvent par habitude, celle-ci pouvant se transformer en addiction. C’est l’alcool et ses effets secondaires dévastateurs que Jean-Claude Leroy placent au cœur de son recueil de poèmes. Il sait que ses mots peuvent en heurter plus d’un et que Dionysos reste un dieu au pied solide.
 

« je plaide coupable à chaque occasion
et elles ne manquent pas
alors je paie ma dette
c’est à dire que je reste à part
je plaide coupable
j’ignore où se tient l’innocence
je réponds oui à toute accusation
mais je ne saurais avouer quoi que ce soit. »

S’il s’attaque à ce sujet qui le pousse à sortir (douloureusement) de ses gonds, c’est parce qu’il ne parvient pas à faire autrement. Sa réaction est épidermique. Ce qu’il a vu et vécu l’a profondément touché et sa mémoire en garde, des décennies plus tard, des traces indélébiles.

« Coupé de moi
tu bois avec les autres
tu fais société
l’amour n’existe pas
isolé je souffre des atteintes
et la caresse du suicide
me prend dans ses bras »

ou encore :

« sans savoir te déprendre d’un nouveau verre
voici qu’il t’a embarquée dans sa voiture
pour te raccompagner, avait-il dit
mais c’est hors de la ville que tu t’es retrouvée
dans la nuit du bois de Lhuisserie
qu’il t’a soumise qu’il t’a forcée
tu as insisté pour qu’il ne t’abandonne pas dans le noir
et te reconduise rue du Mans
où je t’attendais »

Jean-Claude Leroy, avec ses mots efficaces et tranchants, sous tension permanente, exprime son désarroi, ses incompréhensions, ses colères également. L’enfant qui voit « cet homme genoux à terre / devant le mur de la maison » est le même qui observera, plus tard, « cet homme faussement bienveillant qui verse / force goutte dans le verre de mon père ». Ces situations l’ébranlent durablement, le mettent mal à l’aise et nourrissent en lui une réelle aversion.

« La fascination qu’exerce l’alcool défigure
ceux qu’elle atteint
tandis que c’est le visage initial qui m’intéresse
le visage propre à chacun
pas le visage trahi aimanté irrésolu »

Pas question pour autant de prohiber. Libre à chacun de mener sa barque. Et de ramer plus ou moins bien.

« À l’envers ou à l’endroit
toute prohibition est ridicule
censure ou propagande se valent »

Dans ce livre à fleur de peau, Jean-Claude Leroy dit ce qu’il ressent, en des termes parfois durs, cinglants, définitifs, à la mesure du grand malaise qu’il a éprouvé en certaines circonstances.
Les agapes, les libations et assemblées réunies autour de la dive bouteille ne sont pas pour lui. Il préfère prendre la tangente et descendre aux rivières, aux sources et aux fontaines.

Jean-Claude Leroy : Malcool / Cœur sucré, éditions Rougerie.

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