« Pendant des jours, j’ai pensé à ces gens. Je me demandais ce qui s’était vraiment passé. J’ai pensé à eux comme s’ils étaient des proches. Et je les imaginais seuls, sans les petits, sans plus le droit de les approcher ni de les voir. »
Elle éprouve le besoin d’en savoir plus, comprendre ce que cache le laconique entrefilet. Après avoir pris contact et rencontré leur avocat, elle part à leur recherche, de village en village, et finit par les trouver. Ils s’appellent Joël et Constance, vivent de peu, dans une maison à l’écart, et ne parlent qu’à demi-mots, ou pas du tout.
« Elle m’a fait signe d’entrer et m’a désigné une chaise. Une fois assise, il a posé un verre devant moi. Sans rien dire, il ma servi un café et m’a tendu le sucrier. J’ai souri pour remercier. On ne disait rien, on entendait nos respirations et ma cuillère qui touillait le sucre. »
Peu à peu, une relation presque silencieuse s’établit entre eux. Un samedi, ils lui annoncent qu’ils ont décidé de faire appel du jugement et qu’on les a convoqués au tribunal.
« Vous viendrez avec nous, n’est-ce pas ?
C’est par cette question que Constance m’a sortie de mes pensées. Elle a
dit ça sur le ton de la question mais je savais que c’était un ordre,
une évidence. »
Le jour de l’audience, Joël et Constance, par leur habillement d’abord, un endimanchement qui n’a plus court depuis longtemps, par leur façon d’être également, tous deux perdus dans un monde qui n’est pas le leur, paraissent encore plus décalés que dans l’obscurité de leur cuisine. Ils n’ont pas d’avocat. Préfèrent se défendre seuls. Ce qu’ils reprochent au jugement initial, c’est le mot « maltraitance ». Ils demandent qu’il soit retiré, pour que leurs enfants, dans l’hypothèse où ils voudraient, plus tard, connaître leurs origines, les considèrent comme des parents défaillants, certes, mais pas maltraitants.
« Maltraitance, ça dit pas la vérité ».
Dans la salle, la tension est extrême. L’audience est transcrite à coups de phrases courtes et précises. Les gestes, les mots disent tout de ceux qui les prononcent et cet épisode est l’un des plus intenses du roman.
Nathalie Bénézet (qui dirige pour ATD Quart Monde le Centre de Mémoire et de Recherche Joseph Wresinski) dresse, de manière quasi factuelle, le parcours chaotique de Constance et de Joël. Elle creuse méthodiquement le fait divers pour dévoiler ce qu’il ne précise pas : des vies douloureuses, empêchées, marquées du sceau de la misère (tous deux sont d’anciens enfants placés).
Si cette histoire résonne tant chez la narratrice, c’est parce qu’elle intervient à une période charnière de sa vie. Elle vient de perdre un être cher et a une relation à réparer avec son père, le dernier de ses proches. Ce n’est qu’après avoir accompagné le couple jusqu’au bout, dans sa délicate quête judiciaire, qu’elle parviendra à mieux cerner le sens de sa démarche, à comprendre pourquoi le destin de cet homme et de cette femme, qui lui étaient totalement inconnus, l’a bouleversée.
« Toute la vie tient dans l’inattendu. Même dans ces vies bien ficelées de partout, où rien ne se veut laissé au hasard. »
Nathalie Bénézet : La Femme minérale, éditions Maurice Nadeau.
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