Proche des poètes de la Beat
Generation, Charles Plymell, qui a commencé à publier dans les
années 50, est né en 1935 à Wichita, Kansas. Plusieurs de ses
livres, dont le plus connu,
The last of the Mocassins, ont vu le jour
grâce à City Lights, la maison d'édition de Lawrence Ferlinghetti.
Fin 2007, les éditions Wigwam avaient publié un choix de poèmes,
traduits par Jean-Marie Flémal. Il avait alors
répondu aux questions du poète français Alain Jégou, qui était
l'un de ses amis de ce côté-ci de l'Atlantique. Leur entretien (qui fut publié simultanément sur le site des éditions Wigwam et dans la revue
Spered Gouez) est
reproduit ci-dessous, et ce au moment même où les éditions Lenka Lente
publie en édition bilingue
Apocalypse Rose, poème électrique de
Plymell, publié une première fois en 1966 dans le
City Lights Journal.
Alain Jégou. Charles, tu es né près de la
ville de Wichita, dans le Kansas. Peux-tu nous raconter comment s’est
passée ton enfance ? Et nous parler de tes origines cherokees ?
Charles Plymell. Ma
grand-mère a connu la Piste des Larmes, quand les Cherokee ont été
chassés de leurs terres ancestrales, dans le sud-est du Territoire de
l’Oklahoma, sur l’ordre du président Jackson, une autre crapule rapace
et tyrannique, assez dans le genre de Bush. Le nom de ma mère était Sipe
et ses ancêtres européens se sont établis en Virginie dans les années
1600. Les ancêtres des Plymell viennent de Bretagne et d’autres régions
de l’Europe. Ils ont débarqué, puis ont émigré vers l’Ouest au début des
années 1700. Durant cette migration vers l’Ouest, l’un d’eux a épousé
une Indienne wyandotte, dont la tribu fonda Kansas City, qui se trouve
d’ailleurs actuellement dans le comté de Wyandotte, au Kansas.
Mon second nom est Douglass et il y a un
faubourg de Wichita qui porte le nom de la partie écossaise de la
famille. Ma prime enfance, je l’ai passée plus loin à l’ouest des
plaines du Kansas, près du Territoire indien, où il y a aujourd’hui un
important troupeau de bisons dans les terres de l’État, près du site où
se trouvait le bureau de diligence de mon grand-père, aujourd’hui la
Plymell Union Church et la Plymell Elementary School. Mon père est né à
proximité du Territoire indien avant que celui-ci ne devienne un État.
Son père conduisait une diligence qui reliait Dodge City et Santana
(White Wolf) ainsi que d’autres camps le long de la piste de Santa Fe et
de la rivière Cimarron, dans le secteur des tribus kiowa, wichita et
cheyenne qui, par la suite, est devenu l’Oklahoma.
Après la grande tempête de poussière (le
Dust Bowl) des années 30 au Kansas, nous nous sommes installés un bout
de temps à Yucaipa (Green Valley), en Californie, à l’ouest de Los
Angeles. Je m’en souviens toujours comme d’un paradis où les ruisseaux
dévalant des montagnes de San Bernardino charriaient une eau qu’on
pouvait boire, limpide et étincelante, et où les grosses oranges navel
tombaient mûres des arbres. Le parfum des fleurs d’oranger envahissait
complètement la vallée. Aujourd’hui, c’est devenu un enfer noir avec un
smog étouffant et entouré de montagnes brûlées, de désert et de rivières
pleines de saloperies toxiques. Nous y sommes restés un an ou deux, à
la fin des années 30, puis nous sommes retournés à la ferme, au Kansas.
Mon père voyageait beaucoup, et c’est ainsi
qu’alors que nous étions encore mômes, il nous a acheté une maison à
Wichita, où j’ai passé mon adolescence et ma prime jeunesse, dans les
années 50. Il m’avait acheté une voiture et une de ses maisons était en
Californie, de sorte que j’ai beaucoup parcouru les États de l’Ouest.
J’achetais l’essence très bon marché, pas plus de quinze cents le
gallon, là-bas, au Nouveau-Mexique, pour remplir le réservoir de mon
nouveau coupé Chevrolet 1950 et, plus tard, de ma nouvelle Buick
Roadmaster Riveria de 1953, que j’avais achetée à Hollywood, de sorte
que j’ai passé le plus clair de mon temps à parcourir la route 66, ou la
route du nord, vers l’Alaska, ou celle du sud, vers le Mexique. Un
jour, je suis allé retrouver ma sœur en Oregon et j’ai voyagé avec elle
en Idaho, au Wyoming et au Montana où elle a travaillé comme prostituée.
Elle avait découvert les tenancières des villes et bourgades de l’Ouest
et elle a travaillé tout un temps, après quoi nous nous sommes tirés.
L’Oregon, à l’instar de quelques États du nord-ouest, avait toujours
l’allure des « grands espaces » du vieil Ouest, avec ses parties de
poker dans les arrière-salles des tavernes et des maisons mal famées.
Pendant un bout de temps, ma sœur est restée mariée avec un bûcheron,
qui m’emmenait dans ces endroits pour m’offrir des passes. Plus tard,
elle s’est mise à la colle avec un type qui était le fil du shérif
irlandais et de la tenancière noire de Deadwood, dans le South-Dakota.
Lui et moi, nous bossions dans l’équipe de dynamiteurs : on faisait
sauter la roche des montagnes pour construire le Dalles Dam sur le
puissant fleuve Columbia, entre le Washington et l’Oregon. J’ai déniché
un remorqueur et je l’ai transformé en logement et l’ai baptisé « Little
Toot » (petite sirène). J’écoutais Johnny Ace chanter « Clock on the
Wall » pendant que le courant me berçait dans mon sommeil. Plus tard,
nous avons suivi les récoltes vers le sud, on cueillait du houblon, des
pommes et on a fini par se retrouver une fois de plus à San Francisco où
il m’a dégoté un boulot aux docks, avec les Longshoremen et les
Teamsters (1). Tous deux étaient présents au souper de Thanksgiving,
avec Allen et Neal, et toute une sacrée chambrée, en novembre 1963.
A.J. Tu as quitté le Kansas en 1961
pour rejoindre San Francisco. Pourquoi le choix de cette ville ? De
quand datent tes premières rencontres avec les autres poètes de la Beat
Generation ? Est-ce à la librairie de Ferlinghetti « City Lights Books »
que tu as rencontré Ginsberg, Cassady, Kaufman... pour la première fois
? Et Kerouac, en quelles circonstances l’as-tu côtoyé ?
C.P. Ma tante vivait à San
Francisco. Plus tard, ma sœur aussi, si bien que j’avais des liens avec
cette ville. Un peu plus tôt, un groupe surnommé le « Wichita Vortex »
avait quitté le Kansas pour San Francisco ou Los Angeles. Des artistes
comme Bruce Connors, Mike McClure, Stan Brackage, Dennis Hopper, Dave
Haselwood. Je n’attache pas d’importance aux étiquettes, mais il est
question de ma présence dans ce mouvement particulier d’artistes, dans
le bouquin de Jeff Nuttall, Bomb Culture. J’en ai rencontré
d’autres de Wichita qui avaient migré là-bas après Haselwood et Connors.
McClure, Haselwood et Connors étaient allés à l’université et,
officiellement, ils y avaient étudié. Durant ces années de ma jeunesse,
j’avais laissé tomber les études supérieures et je gravitais dans une
sous-culture qui n’avait rien d’acceptable pour la société
traditionnelle.
Par exemple, j’ai été en prison à Wichita
avec Bob Branaman et, après ce séjour en taule, on a glandé dans des
bistrots de blues et de jazz et dans des bastringues à musique country.
Alan Russo nous a rejoints plus tard, encore que, parfois, il lui fût
arrivé de suivre les cours de l’univ. Son père y enseignait la
psychologie et l’avait testé au niveau « génie ». Il rédigeait pour nous
les commandes de cartons de peyotl. Certains nous appelaient
« hipsters », « bohèmes », « outsiders », « non-conformistes » ou même
« punks » (les crades). J’avais laissé tombé les cours après ma première
année à l’univ et je traînaillais dans les boîtes où les saxophonistes
de Stan Kenton (qui était de Wichita) jouaient dans les combos
classiques de l’époque. Nous allions à Kansas City histoire de voir
Charley Parker, Jay McShane, King Pleasure, Big Bill Broonzy, Count
Basie. Il y avait en ce temps-là une petite portion de Kansas City
appelée « Rattle Bone Flats » et datant de l’époque où c’était encore
Wyandotte City. À Wichita, nous avions également l’occasion
exceptionnelle de nous brancher avec des musiciens et de ramasser
quelques huées, ou de sortir des sentiers battus dans de petites boîtes
du quartier noir pour voir des gens comme Fats Domino, Bo Diddley, Joe
Turner et les grands du rythm n’ blues que nous allions écouter pour
« un dollar à l’entrée » (et les copains qu’il fallait pour pouvoir
entrer). ça s’appelait à l’époque de la « musique raciale ». Pas très
connue du public blanc. Dans ma « sous-culture de la bagnole », je
pouvais traîner non seulement dans les boîtes de Kansas City, mais aussi
me farcir 2500 bornes de plus jusqu’à Los Angeles, où je passais des
tas de nuits à sillonner Central Avenue dans les deux sens pour dénicher
les boîtes où les plus grands des artistes de jazz de tous les temps se
réunissaient grâce à l’influence de Norman Granz.
Entre deux voyages, je suivais la récolte du
froment. J’ai bossé pour la Santa Fe Railroad. J’ai bossé sur un
pipeline en Arizona, j’ai chevauché des taureaux Brahma et des chevaux à
cru dans les rodéos. J’ai également participé à Hollywood à un show de
cascadeurs qui sautaient par-dessus un alignement de bagnoles ou au
travers d’un cercle enflammé, avec moi à plat ventre sur le capot de la
tire. C’est ma mère qui conduisait…
Ainsi, j’avais été de nombreuses fois en
Californie et dans pas mal d’endroits dans l’Ouest et j’avais mené un
genre de vie hors norme, déjà dans ces années 50, bien avant d’avoir
entendu parlé de la Beat. Mon style de vie était plus proche de
l’autobiographie de Jack Black dans son bouquin You Can’t Win.
Coïncidence, c’est le premier bouquin qu’ait lu Burroughs et, bien plus
tard, il allait écrire une intro pour une réédition de ce livre. J’ai
poursuivi dans cette veine en rédigeant mon Last of the Moccasins,
publié d’abord par City Lights, et qui raconte mes aventures des années
50. J’ai lancé mon propre genre, dans ce bouquin, la construction en
prose de type « hobohémien ».
Los Angeles a une culture musicale et
artistique différente de celle de San Francisco, mais San Francisco,
c’était tellement beau, comparé à Los Angeles, asphyxiée dans son smog,
que j’ai préféré y rejoindre mes amis là-bas. Et puis, la première fois
que j’ai vu les beats, c’est quand ils sont venus à une party que
j’avais organisée à l’appart de Gough Street, à San Francisco. Ginsberg
venait tout juste de rentrer à San Francisco de son voyage en Inde, de
sorte qu’il avait rempli les pages du magazine (qui était la partie la
plus importante des médias, à l’époque). J’ai ouvert la porte et
Ginsberg est entré, suivi de Ferlinghetti, McClure, Whalen et d’autres.
J’ai appris plus tard qu’ils étaient attendus à d’autres soirées et je
ne sais toujours pas pourquoi ils sont venus à la mienne. Les hippies
débarquaient, à l’époque, et en troupeaux entiers et, ainsi donc,
l’affaire ressemblait à la rencontre entre les hippies et les beats,
mais je n’avais le sentiment de faire partie ni des uns ni des autres.
Allen s’est présenté et m’a également présenté les autres, disant de
façon énigmatique : « Je présume que c’est toi que je suis censé
rencontrer. » Je n’ai jamais chercher à savoir ce qu’il entendait par
là, car la plupart des beats avaient l’air assez square, à mes yeux,
mais chouettement célèbres, ce qui est toujours synonyme de grandeur,
dans ce pays, de sorte que j’ai été passablement honoré de les
rencontrer. Ferlinghetti avait peut-être l’air un peu triste de voir que
le dessus du panier de la société littéraire n’était pas là, mais
Whalen s’est mis à danser et les McClure s’y sont mis aussi. Un poète
des rues, Dave Moe, qui poétise toujours aujourd’hui, s’est mis à danser
en transe pour Allen.
J’avais rencontré Neal Cassady environ un an
plus tôt chez une copine. Je l’ai apprécié tout de suite, parce que
nous avions partagé des styles de vie assez semblables dans les États du
Centre, à savoir les bagnoles, les filles et la benzédrine. En fait, il
était pareil à la sous-culture dans laquelle je me trimbalais de Denver
à Kansas City. Pam et moi, plus tard, allions rencontrer Burroughs à
Londres. Huncke n’était pas à cette fameuse soirée de San Francisco,
mais il est venu de New York à Gough Street plus tard, plus
« cérémonieusement », traversant le pays complètement pété dans une
Mustang, avec comme chauffeur Janine Pommy Vega, histoire de venir
renifler la nouvelle Renaissance de San Francisco.
A.J. À quel moment as-tu commencé à
exposer tes collages, à publier tes poèmes et à participer à des
lectures ? Quels étaient les lieux où se retrouvaient volontiers les
poètes de la Beat Generation et ceux que l’on a ensuite assimilés au «
Renouveau de San Francisco » ?
C.P. Ma seule et unique
expo de collages a eu lieu à l’infâme galerie Batman de Fillmore Street.
J’avais réalisé plusieurs collages, dont un très grand qui a influencé
Claude Pélieu pour la réalisation de ses collages géants. Mon expo a été
mentionnée dans Art in America. C’était en 1963. Neal était
venu au vernissage habillé dans tout un déguisement républicain :
chapeau de paille et canne, le tout en rouge, blanc et bleu. Il était
allé à la convention de Barry Goldwater. Goldwater se présentait contre
Lyndon Johnson. J’aimais bien Goldwater aussi. J’avais été cavalier de
rodéo (avec des taureaux Brahma et des broncos à cru) dans le district
de Goldwater, à Gila Bend, en Arizona. Johnson était bien, mais c’était
un menteur invétéré. Ils disaient de Goldwater qu’il tirait « droit au
but », voulant dire par là qu’il était honnête et direct. Un journaliste
lui avait demandé si son fils avait pris du LSD comme le prétendait la
rumeur. Goldwater avait répondu en public : « Ce ne sont pas vos nom de
Dieu d’affaires ! » Quoi qu’il en soit, le républicanisme de Neal et de
Kerouac a toujours été une épine dans le flanc gauche de Ginsberg. J’ai
vendu tous mes collages, sauf deux. Claude a toujours voulu collaborer à
un « énorme » collage, mais je n’en ai plus fait beaucoup, après cela.
Quelques années plus tard, Billy Jharmark, qui a rendu la galerie Batman
célèbre et avait des amis cool à Los Angeles, comme Wallace Berman et
Dennis Hopper, nous a vus, Pam et moi, dans la rue et nous a donné les
clés de sa MGTD 1950 Classic. Nous étions sur le point d’aller en France
et nous l’avons vendue pour 250 dollars. Les lectures de poésie se
faisaient principalement à North Beach. C’était de la matière brute. Je
n’ai pas beaucoup lu moi-même, mais j’ai assisté régulièrement aux
lectures de Duncan, McClure et Ferlinghetti, qui était un habitué du
Mike’s Pool Hall, pas loin de City Lights, à North Beach, de sorte que
nous pouvions emmener Pam et lui permettre d’entrer, parce qu’elle
n’avait pas encore l’âge, une grosse épine, dans ce pays, au contraire
de la France. Il y avait différents endroits et scènes, à San Francisco,
depuis le Head Shop, dans Haight Street, jusqu’aux bars pédés de Turk
Street, ou encore les vulgaires bars commerciaux de Mission, où un groom
allait garer votre Harley au parking et où vous pouviez vous installer
épaule contre épaule – ou pénis contre pénis – en compagnie de Tennessee
Williams. San Francisco était une reine particulièrement sculpturale
avec un carnaval permanent juste sous ses colliers et bracelets de néon.
A.J. Avec ta femme Pamela (fille de
l’artiste et traductrice Mary Beach et belle-fille du poète et
collagiste Claude Pélieu), tu as été le premier à publier les dessins de
Robert Crumb et la première BD de motard du dessinateur S. Clay Wilson.
Comment t’es-tu lancé dans l’édition et l’impression de ta revue The Last Time ?
C.P. J’ai d’abord publié S. Clay Wilson dans la petite revue underground Grist.
Pam et moi avons vécu brièvement à Lawrence, dans le Kansas. Lawrence
n’est pas loin du lieu de naissance de Charlie Parker, à Kansas City,
qui était connue pour ses attaques et ses pillages de banques par les
célèbres gangs de cow-boys de l’époque héroïque. Les étudiants de la
magnifique université vivaient dans les vieilles maisons de la ville
basse et on pouvait encore voir des impacts de balles dans les façades
en brique. Wilson était étudiant et il vivait là avec, devant chez lui,
un crasseux jardinet de façade plein de pièces d’Harley. Le jeune James
Grauerholz écumait la librairie Grist à la recherche de trucs branchés à
lire. Lawrence est aujourd’hui un endroit très « hip » en partie à
cause de James et de son fameux pote Burroughs qui allait y habiter à la
fin de sa vie. Robert Crumb allait déménager à San Francisco plus tard,
de même que Wilson. Pam et moi avons déménagé à plusieurs reprises et
avons vécu près du Fillmore Ballroom. Plusieurs trucs différents se
passaient en même temps. La musique remplaçait progressivement la
poésie. Nous avions des billets de faveur pour aller entendre une
nouvelle chanteuse qui venait de débarquer, Janis Joplin et son groupe,
Big Brother. Nous étions tellement défoncés que nous n’avons même pas pu
parcourir quelques blocks pour y aller. Un gus a rejoint notre party
et a insisté pour qu’on écoute le groupe qu’il était en train de former
et qui s’appelait Pink Floyd. Soirées nues, liberté sexuelle,
hallucinogènes, plus toutes les « sous-cultures traditionnelles », il y
avait de tout dans ce carnaval perpétuel. Certains de mes potes sont
partis bosser avec Al Cohen au journal The Oracle, les gars
gagnaient leur pognon en essayant de le fourguer dans la rue. La Haight
Ashbury avait changé quasiment du jour au lendemain depuis que j’y avais
dégotté un appart en 1962. En 1965, le vieux quartier russe avait
complètement changé et il était plus peuplé que l’East Village, à New
York City, qui s’était lui aussi développé rapidement suite à
l’éclatement de la scène à San Francisco. Robert Crumb était venu à San
Francisco. La seule autre personne qui le connaissait était Don Donahue,
qui a racheté ma presse après que j’ai eu publié les NOW et The Last Times,
dont le format journal changeait à chaque impression. Ç’a été sans
aucun doute le dernier. Je n’en connais qu’un exemplaire existant dans
les collections spéciales d’une université. J’ai publié deux longs
poèmes dans Evergreen Review, à propos de la nouvelle scène de
Haight Ashbury et, plus tard, Woodstock. Ils allaient être illustrés,
sur plusieurs pages. Robert était sans un et je voulais qu’il se fasse
un peu de blé, mais je n’ai pas pu convaincre les responsables
artistiques de Grove Press d’utiliser les illustrations de Robert Crumb.
Ils n’avaient jamais entendu parler de lui et qui sait ce qu’ils
pensaient de son travail ? Il allait trop loin ? Pas assez bon ? Evergreen
venait de changer pour adopter un format plus grand aussi. Les
exemplaires dans lesquels figuraient mes poèmes étaient bien ficelés.
J’ai imprimé et mis au point le format de son Zap pour qu’il
s’adapte à ma vieille presse et Pam et moi l’imprimions entre deux
soirées, et lui et sa femme et Don le vendaient de la main à la main à
Haight Street, à 25 cents l’exemplaire. Au moment où je rédige le
présent texte, Wilson lance des appels pour rassembler une convention de
comics en Californie du Sud et il dit qu’il y a eu une annonce selon
laquelle un « Plymell Zap » se serait vendu 15.000 dollars, un prix record pour n’importe quel comic. Eh ! non, je n’en ai pas un seul !!!
A.J. Tu as été très proche de
William S. Burroughs et de Ray Bremser. Dans quelles circonstances as-tu
rencontré ces deux écrivains ? À New York ?
C.P. Pam et moi avons
rencontré William à son appart, 8 Duke Street, à Londres, en 1968.
J’avais correspondu avec lui auparavant, et il avait fait certains
cut-ups avec les tout premiers textes de NOW. Il avait également envoyé la méthode à utiliser pour les textes que j’avais imprimés dans le numéro suivant de NOW.
Nous avons rencontré Ray ici, à Cherry
Valley, à la ferme de Ginsberg. Ray connaissait le jazz, mais il ne
savait absolument pas ce qu’était l’argent. Il a donné sa dernière
lecture à Cherry Valley et il est mort avec un peu de thunes en poche.
Une fois que Burroughs a été fabriqué, le moule a été cassé. Il n’y en aura jamais un autre d’aussi réussi.
A.J. Tu vis aujourd’hui à Cherry
Valley dans l’État de New York et continues à te consacrer à l’écriture
et au collage. Tu te produis également dans des lectures, notamment avec
Thurston Moore, leader du groupe de rock-punk Sonic Youth. Peux-tu nous
parler de tes derniers ouvrages et de tes dernières lectures en public ?
C.P. Je ne me consacre pas
vraiment à quelque chose en particulier. J’étudie la physique et je
développe ma philosophie du cosmos. Si quelqu’un s’enquiert de moi,
j’essaie de mettre ensemble nombre de notes éparses. J’ai fait un petit
bouquin de collages il y a quelque temps et, parfois, j’utilise les
images de Claude et Mary qui traînent, en les mettant à l’abri de leur
chatte qui croit que c’est à elle et qui les étale comme s’il s’agissait
de pensées qui ont regagné en importance avant d’être brossées sur le
côté. Thurston Moore et Byron Coley ont organisé plusieurs lectures pour
moi dans le Massachusetts ainsi qu’à Montréal. Pam et ma fille ont été
invitées à une grande soirée de musique et poésie dans une baraque
pleine à craquer. Sonic Youth et Flaming Lips ont joué à la New York
State Fair où mon fils et le biographe de cinéma de Huncke, Laki
Vazakas, avaient des entrées sur scène. C’était une immense scène et les
gradins avaient été utilisés pour des courses de bagnoles et ils
étaient noirs de monde. Ce furent des performances enthousiasmantes.
Byron et Thurston m’avaient demandé de passer sur scène au profit de
leur magazine
Estactic Peace, et ce fut ma dernière apparition,
à la St. Marks Church de New York City. J’avais sorti un petit sermon
poétique sur Jésus et Judas ayant un petit fou rire à propos de la mise
en scène du suicide par personne interposée de Jésus, à propos duquel
les autres n’étaient pas du tout au courant. Hammond Guthrie l’a sorti
dans
Third Page,
avec Mary Beach sur la même page : quand on clique sur la fenêtre, elle
s’ouvre, puis on clique sur le nom et on a la biographie. Le monde
entier n’arrête pas de marcher à coups de clicks et de kicks !
A.J. Les éditions Wigwam vont publier une traduction d’un choix de poèmes extraits de ton recueil Robbing The Pillars (Les
voleurs de piliers), une première publication en français qui te tient
particulièrement à cœur, je crois... As-tu déjà publié en Europe
auparavant ?
C.P. Je vois de temps à
autre un poème ou un collage dans une publication française, ou en Inde
ou en Écosse ou dans d’autres pays encore, mais pas de bouquins. J’ai
publié quelques bouquins en Allemagne et en Autriche et j’ai figuré dans
plusieurs publications depuis les années 60 en raison de mes rapports
avec Carl Weisner, Jürgen Ploog, Peter Engstler, Walter Hartman, Sylvia
Pociao...
Robbing the Pillars, c’est une
expression utilisée par les mineurs de charbon américains quand ils
referment une galerie de mine. Ils retirent les étançons un par un
jusqu’à ce que la galerie s’effondre.
(1) Les Débardeurs (= dockers) et les Routiers, deux corporations syndicales américaines.
La traduction de cet entretien a été réalisée par Jean-Marie Flémal
Photo 2 : Alain Jégou (assis) et Charles Plymell