mercredi 21 juin 2017

Le livre des morts

À Gauley Bridge, en Virginie-Occidentale, au début des années 1930, environ deux milles hommes, dont une majorité de noirs, sont embauchés pour creuser un tunnel et dévier une rivière afin d’alimenter une centrale hydroélectrique. La roche qu’ils déblaient s’avère être d’une forte teneur en silice. Ils travaillent sans masque et sans ventilation. Les forages se font à sec, technique on ne peut plus criminelle. La poussière affecte et obstrue leurs bronches. Le percement du tunnel durera cinq ans et tuera plus de sept-cent-cinquante ouvriers, tous atteints de silicose.


« Presque dès le début des travaux dans le tunnel
des hommes sont morts dans les forages à sec. Pas de masques.
La plupart n’étaient pas de cette vallée.
Les fourgons en amenaient beaucoup, chaque jour, d’états
qui longent la côte atlantique
et de terres lointaines, Kentucky, Ohio.
Après le travail, les camps étaient fermés ou brûlés.
L’ambulance roulait jour et nuit,
tandis que les pompes funèbres de White prospéraient. »

C’est cette tragédie industrielle, orchestrée par la Union Carbide & Carbon Co, que Muriel Rukeyser retrace dans Le livre des morts. Elle s’est rendue sur place. A interrogé les survivants, leurs proches, leurs familles. A rencontré les médecins, les juges, les avocats. Elle a scruté les lieux, suivi la route qui y mène, vu l’ouvrage en question. Elle a recueilli nombre de témoignages, a consulté les journaux, étudié les minutes des procès qui suivirent et a choisi de créer, à partir de cette somme, un long poème fait de collages et de multiples tableaux pour rendre compte du déroulé et de l’impact de la catastrophe.

« L’eau qu’ils apportaient était pleine de poussière, l’eau qu’on buvait,
les camps et leurs bosquets étaient blancs de poussière,
on nettoyait nos habits dans les bosquets, mais on restait pleins de poussière.
C’était comme si quelqu’un avait répandu de la farine dans les parcs et les bosquets,
ça restait là et la pluie n’arrivait pas à l’enlever et ça brillait
cette poussière blanche était vraiment jolie tout autour de nos chevilles

Noir comme je suis, quand je sortais le matin après une nuit au tunnel,
à côté d’un Blanc, personne n’aurait pu dire lequel était blanc.
La poussière nous recouvrait pareil, et la poussière était blanche. »

Le poème, qui change régulièrement de registre, se déploie sur quelques dizaines de pages et parvient à redonner voix à ceux qui ne l’avaient pas. Il cible également le cynisme, le mépris, le racisme et l’appétit financier des invisibles affairistes qui étaient aux manettes. Les médecins, dépassés par les événements (ils ne connaissaient pas encore la silicose) affirmaient que les hommes souffraient de « tunellite » (une maladie qui n’existe pas)

« ça empire tous les jours. La nuit
je me lève pour reprendre mon souffle. Si je restais
couché sur le dos, je crois que je mourrais. »

Inédit en France, Le Livre des morts est un ouvrage précieux. Il est rare qu’un poète s’empare d’un tel sujet. L’américaine Muriel Rukeyser (1913-1980), qui fut l’une des voix marquantes de sa génération, (le poète Kenneth Rexroth la plaçait au plus haut), encore trop peu connue de ce côté-ci de l’Atlantique, le fait avec humanité, pertinence et conviction. C’est un remarquable tombeau à toutes les victimes de ce scandale qu’elle dresse ici. Quelques unes des photos de Nancy Naumburg, prises alors qu’elle l’accompagnait à Gauley Bridge, se retrouvent dans un cahier central.

La dernière partie du volume est tout aussi remarquable : elle donne à lire Cadavres, sous-produits des dividendes, un texte implacable de Vladimir Pozner (extrait du livre Les États-Désunis) qui relate les faits et leurs terribles conséquences sous un autre angle, avec les mêmes protagonistes.

 Muriel Rukeyser : Le Livre des morts, traduit de l’anglais (américain) par Emmanuelle Pingault, photos de Nancy Naumburg, suivi de Cadavres, sous-produits des dividendes de Vladimir Pozner, éditions Isabelle Sauvage.

lundi 12 juin 2017

Élise et Lise

Élise et  Lise ne se sont pas rencontrées le même jour. C’est étonnant mais c’est pourtant vrai. Quoiqu’il en soit, il y avait déjà un moment que Lise, qui allait faire le premier pas, se sentait attirée par Élise. Tout en elle lui plaisait. Sa silhouette, ses vêtements, sa légèreté, son sourire, sa bonne humeur. Elle essayait d’ailleurs, quand elle se rendait chez Zara ou chez Camaïeu, de trouver le même petit haut à bretelles qui lui allait si bien et qu’elle finira par dénicher, acheter et porter. Elle ne savait pas encore que leurs prénoms se ressemblaient. Étudiantes, elles suivaient le cours de madame Roger sur les personnages qui peuplent les contes des frères Grimm. Sarah, très proche d’Élise, et qui suivait également ce cours, assistait à la rencontre qui eut lieu devant la cabine d’essayage du Kookaï de la rue Saint-Charles.

« Quand elle repense à cette scène, quand elle la reconstruit dans sa mémoire insuffisante, elle entend toujours Élise se présenter la première, "Élise", et Lise ensuite dire "Lise", et ça fait comme un écho. Mais Sarah sait bien qu’elle imagine, parce qu’en réalité elle ne se souvient plus. »

À partir de ce jour, les deux jeunes filles ne vont plus se quitter. Elles vont habiter le même deux pièces, s’échanger leurs vêtements, partir en week-end ensemble chez les parents d’Élise. Celle-ci a pris d’emblée, et sans le vouloir, l’ascendant sur celle qui veut lui ressembler, glaner quelques traits de sa personnalité pour s’inventer une histoire qui ne débuterait qu’à l’instant où elles sont devenues amies.

« Lise profitait de l’absence d’Élise pour entrer dans cette jupe à carreaux, cette chemise en jean, cette robe à pois, ce petit haut à bretelles. Elle y entrait et y entrer c’était comme entrer dans un autre monde, un monde où Lise n’existait pas et où il n’y avait plus qu’Élise. »

C’est ce mimétisme que Philippe Annocque décrit. Il semble avancer avec une certaine nonchalance mais construit en réalité un roman bien charpenté, conçu tel un conte résolument ancré dans l’époque. Il passe d’un personnage l’autre, les éclaire à tour de rôle, précise d’un mot, d’une phrase, la fragilité de Lise et la liberté assumée d’Élise, le tout ponctué par les interventions de Sarah qui, sans s’éloigner tout à fait, est totalement accaparée par l’étude, la signification et les diverses interprétations des contes.

« Les contes sont des organismes vivants qui vivent leur vie à travers nous. L’individu est sans pouvoir sur eux. »

Un autre personnage apparaît bientôt. Il s’installe durablement. Il s’appelle Luc. C’est « le garçon qu’Élise leur avait trouvée ». C’est Lise qui pense ainsi. Heureuse de savoir son amie heureuse, elle sera triste quand l’histoire se terminera, plus triste encore que celle qui vient d’être quittée.

Élise et Lise est un conte subtil, empli de fraîcheur et d’envie de vivre, qui peut facilement basculer. Les thèmes abordés, sans jamais être nommés, (le besoin – pour Lise – de se conformer, de paraître, de devenir le double, la copie de celle qui la fascine et le risque - qui la guette - de se perdre ou d’usurper une identité) s’avèrent si déstabilisants qu’on se dit parfois qu’il suffirait d’un rien pour que l’histoire prenne soudain une tournure différente, chavirant dans le rude, l’effroi, la dureté. Philippe Annocque s’en garde bien. Il maîtrise son sujet à la perfection. Il sait où il veut nous mener. Et maintient, pour cela, une tension élevée jusqu’au bout. Jusqu’à cette ultime fenêtre, grande ouverte, sur laquelle se termine le livre.

 Philippe Annocque : Élise et Lise, Quidam éditeur.


jeudi 1 juin 2017

Ni bruit ni fureur

Il arpente le Nord de long en large. Il y est né et y habite toujours. Sa mémoire en est imprégnée. La diversité des lieux le façonne. C’est là que se trouve son champ magnétique. L’aiguille de sa boussole intérieure en atteste. Elle lui permet de s’orienter dans ses nombreux déplacements en lui demandant constamment d’ouvrir ses écoutilles. Et c’est justement le genre d’incitation que Lucien Suel apprécie, lui le curieux, l’homme porté vers l’échange, désireux d’en connaître toujours un peu plus sur ces territoires familiers qui recèlent tant d’ombres et de secrets. C’est ce qu’il explore, par la langue, par l’écriture, en faisant en sorte que l’écrit puisse être porté par l’oralité, dans cet ensemble qui mêle proses et poèmes et qui se présente tel un triptyque. 
Enfance au Nord en est le premier volet. Qui débute par l’évocation du jeune Bernanos à Fressin.

« Le petit Georges trempe le bout de ses doigts dans l’eau froide de la Planquette, un bénitier naturel. Les saules étêtés se mirent dans l’eau des mares. Le vent secoue les peupliers, ébouriffe leurs grappes de gui. Les briques rouges, roses et jaunes et les tuiles d’argile brillent sous le soleil. Au retour, Georges se signe devant le calvaire à l’entrée du village. »

On aperçoit Mouchette au loin. Lucien Suel (que l’on retrouvera plus tard en bambin frigorifié dans l’église de Guarbecque) la saisit en quelques phrases. L’ombre de Benoît Labre circule également à flanc de collines. Ainsi que le fantôme de Germain Nouveau. Tous reviennent, porteurs d’une histoire, d’un parcours, hanter des lieux précis. Suel les repère et évoque leur présence en passant aisément d’une époque à l’autre.

Le jardin, endroit qui lui est cher, qui l’apaise, occupe la deuxième partie du livre. L’enclos, qui se nourrit en plongeant dans un sous-sol profond, est directement relié aux galaxies. Il est empli de milliers de vies minuscules, souvent invisibles, parfois masquées par celle de l’homme qui finira pourtant, un jour ou l’autre, par être absorbé par cette terre qu’il travaille tandis que les plantes feront le chemin inverse, crevant, après germination des graines, la surface du sol pour profiter du vent, de la pluie et de l’air libre.

« Orage secret, tu t’approches derrière l’abri des nuages. La fée souffle son haleine glaciale au cou du jardinier. La mésange lève sa casquette bleue et appelle titipu titipu titipu. Le ciel avance dans le noir, se colle sur les peupliers tremblants. La goutte ronde est tombée la première sur l’araignée du troène. »

Le troisième volet de Ni bruit ni fureur est dédié aux disparus. L’auteur leur construit un ossuaire. Y cohabitent tous ceux qui restent indéfectiblement présents à ses côtés. Il y a là des dizaines de défunts, de Ginsberg à Criel en passant par Tzara, Brautigan, Lennon. Leurs os assemblés forment un imposant terril blanc.

« les os de tous les morts classés dans
la cathédrale de mon esprit ensevelis
dans les matières grises de mon crâne »

Un hommage plus intime est consacré à Christophe Tarkos, dans un long texte-collage conçu à partir de lettres postées par ce dernier entre 1994 et 1999, juste avant qu’internet ne remplace la correspondance papier.

« Marseille, 25 janvier 1996, Tarkos écrit que, dans les gravats, il a son adresse en construction qui temporise.

Paris, 27 mars 1996, Tarkos écrit qu’il part faire une lecture et que des fois les mots les plus simples on peut pas les lire.

Marseille, 11 avril 1996, Tarkos écrit qu’il travaille, et qu’il en est heureux, et que c’est heureux, receveur (en tee-shirt) – auxiliaire (pas encore titulaire) bas de l’échelle – de la gare de Meyrargues et que Micha chante avec les Kirghizes dans le soleil couchant du port. »

C’est une somme foisonnante, ouverte, offrant des formes variées, que nous propose à nouveau Lucien Suel. Il fouille, bouge, traverse nombre de paysages, fixe la ligne d’horizon, la franchit fréquemment, saute les frontières, porte un regard attentif et fraternel sur tous ceux (vivants et morts) qui l’accompagnent sur les routes des Flandres, de Picardie, d’Artois (et d’ailleurs) qu’il fréquente assidûment.


Lucien Suel : Ni bruit ni fureur, La Table ronde (175 pages, 16 €)

Lucien Suel publie parallèlement Angèle ou le syndrome de la wassingue aux éditions Cours toujours. Un roman empreint de fraîcheur et de malice, conçu autour de la personnalité attachante d’Angèle, une petite fille rêveuse et émerveillée, ce qui ne l’empêche pas d’avoir les pieds sur terre, et les mains dans l’eau, tout particulièrement quand il s’agit de mouiller et d’essorer la wassingue (la serpillière).

mardi 23 mai 2017

Sous vide

À la fin de Petite vie, son précédent roman, qui lui-même succédait à Bas monde, Patrick Varetz laissait Pascal Wattez, son double, en proie à ses premiers émois sexuels. Il les vivait en compagnie d’enfants de son âge. Il avait alors dix ans. C’était peu après mai 1968. Il découvrait l’inconnu des corps et cela le sortait momentanément de l’étouffoir familial, ce huis clos insensé qui était le sien depuis son plus jeune âge, coincé entre son « salaud de père » et sa « folle de mère ».
On le retrouve vingt ans plus tard. Début des années 1990. L’emprise de ses géniteurs ne s’est pas vraiment desserrée.

« Je demeure sec, privé de l’essentiel, égaré à l’endroit du cœur, le ventre habité par une fringale idiote. Le nez enfoncé entre les oreillers, il me suffit de relever le front pour – aussitôt – entendre aboyer mon salaud de père. »

Il vit seul. Travaille pour Blanc, un type qui le paie bien, qui se balade entouré de gens branchés, qui lui demande – l’appelant parfois en pleine nuit – de rédiger des textes pour vanter les qualités de tel ou tel produit. L’argent (liquide) coule à flot mais le narrateur s’en fout. Les billets, il les disperse, les abandonne entre les pages de ses livres et les oublie. Il adopte la même méthode avec les feuilles bleues que les huissiers glissent régulièrement sous sa porte. Les impératifs matériels le rebutent. Il ne règle pas ses factures. N’ouvre plus sa boîte aux lettres. Connaît l’apathie sur le bout des doigts. S’ankylose, se laisse aller. Vit par intermittences. Un jour au présent. Et le suivant au passé, se souvenant qu’à 17 ans, il a réussi à s’extraire de l’univers parental, partant à l’aventure et usant de psychotropes pour égayer un quotidien foutraque.

« Un sentiment de vide, impossible à contenir, s’élargit brutalement en moi. Je ne démontre aucun courage. L’exemple calamiteux de mes parents me laisse inachevé, entre deux âges, et je perds pied à mesure que je crois m’éloigner d’eux. Il n’y a guère qu’envers les psychotropes que je développe un semblant d’assiduité. »

Écrire des textes de commande l’aide à occuper sa tête et ses journées mais son corps n’y trouve pas son compte. Il aimerait bien exulter et assouvir ses pulsions. Le souvenir de Claire, amie qu’il n’a pas revu depuis longtemps, le hante. Une nuit, il l’appelle sur un coup de tête, lui laisse un message maladroit. Auquel elle répondra quelques jours plus tard. Déclenchant une rencontre. Puis une autre, et d’autres encore. Ce sera le début d’une irrémédiable et vertigineuse descente. Le grand vide qui les habite tous deux va les aspirer vers le bas. Dérégler définitivement des mécaniques déjà mal en point. La folie rôde. Claire va disjoncter après quelques mois de vie commune. Leurs ébats sexuels, à la fois crus et rugueux, pratiqués dans des lieux improbables (y compris à la clinique, en tenant d’une main la potence de la perfusion) ne seront pas de ceux qui apportent équilibre et apaisement.

Au delà de l’histoire – rude – il y a l’écriture. Et celle de Patrick Varetz est étonnante de maîtrise. Ses phrases courtes claquent et se succèdent, alimentant une narration tendue qui se maintient en permanence sur la crête de la vague. Elle ne se désunit jamais. Venant du ventre et des tripes, elle est soutenue par une langue exigeante, riche, nerveuse, extrêmement convaincante.

Patrick Varetz : Sous vide, éditions P.O.L. (224 pages, 15 €)

"Le Matricule des anges" a consacré la une et le dossier de son N° 180 (février 2017) à Patrick Varetz.

dimanche 14 mai 2017

Des carpes et des muets

Il a beau flâner et prendre son temps, le passé finit presque toujours par remonter à la surface. Il se fait parfois aider par une main anonyme. C’est le cas ici, dans ce roman qui démarre au quart de tour.

Les faits ont lieu sous le cagnard, au plus fort de l’été, un jour de curage du canal dans le petit village de S. Des volontaires raclent la boue et les détritus au fond de l’eau quand l’un d’entre eux découvre un sac d’épicerie près de l’écluse. Il est accroché à l’un des barreaux de l’échelle mécanique. À l’intérieur, il y a un squelette en morceaux. Un crâne et des os. Sortis d’on ne sait où. Et attachés là très récemment, pour qu’on les découvre. Mais par qui, et pourquoi ? Mystère. Savoir à qui, à quel mort appartiennent ces ossements semble une énigme trop compliquée à résoudre pour la communauté des villageois. Tous sont chamboulés, déconcertés. Seul Phlox, qui habite là depuis peu, garde son calme. Stoïque et pondéré, il écoute les uns, les autres. Qui accusent le coup, parlent à demi-mots, ressassent de vieilles histoires. Ils réactivent des mémoires bien encombrées. Certains remontent à la guerre. D’autres se souviennent d’anciennes disparitions jamais vraiment élucidées. Des hommes qui n’ont plus donné signe de vie.

« Un jour Heinrich est parti. Il n’avait jamais envoyé de carte. Alors qu’il avait promis. Quelque temps après son départ, une femme avait écrit d’Allemagne. Elle avait dit qu’il n’était jamais rentré. »

Ce mort qui revient les saluer à sa manière les sidère. Il perturbe la monotonie ambiante. Bouscule ces êtres qui vivaient jusqu’alors en vase clos, repliés sur eux-mêmes, chacun tenant à garder ses secrets. Or, il y a ce sac d’os. Qui vient remuer de l’histoire ancienne, et tout particulièrement celle de la guerre qui a laissé des traces encore palpables dans ces régions frontalières de l’est de la France. Celle-ci les a durablement marqués. Le paysage en porte toujours les stigmates. Elle est à l’origine de cette culpabilité et de cette peur perpétuelle que tous ont l’air de porter en eux. Même les plus jeunes en sont affectés.

« C’est important les origines. C’est passionnant aussi, parfois, comme ces énigmes dans les films qu’il faut résoudre. La réponse se trouve quelque part, il faut savoir la chercher. Ce n’est pas toujours celle qu’on s’imagine. »

De réponse, ici, il n’y en aura pas. Tout juste des pistes, des suggestions, des secrets à peine dévoilés. Ces êtres d’ordinaire taciturnes vont s’épuiser, deux jours durant, en se prenant au jeu des soupçons et des confidences. Ce qui leur ressemble peu. Mais qui s’avère la seule issue possible pour retrouver, au plus vite, cette existence à la mémoire volontairement mis sous le boisseau qui leur va si bien.

Édith Masson, dont c’est le premier roman, brosse une série de portraits très suggestifs. Ses personnages sont méfiants. Ils attendent la nuit blanche (et passablement agitée) qui suit la découverte des os pour délivrer quelques uns de leurs souvenirs. Elle les collecte et en fait un montage judicieux, suivant la chronologie des faits en cours tout en effectuant de fréquents retours en arrière. Ceci à coups de dialogues brefs, ce qui donne un bel allant à son texte. Elle laisse de côté l’enquête policière pour ne s’attacher qu’à cette poignée de villageois un rien perturbés qui ne s’expriment qu’avec retenue, parvenant néanmoins à se comprendre et à se rassembler autour d’une mémoire collective où percent regrets, mal-être et trous noirs.

Édith Masson : Des carpes et des muets, éditions du Sonneur.