Belgique, 27 octobre 1962. Tête-Dure joue sous la table dans
l’appartement deux pièces où il vit avec ses parents. Il sait que le
Peau Rouge en plastique qu’il essaie de planquer derrière un pied de
chaise n’en a plus pour longtemps. Le soldat (tunique bleue) qui le
traque depuis quelques instants se rapproche et va finir par avoir le
dernier mot. S’amuser de la sorte l’aide à se détacher d’un quotidien
peu reluisant qui est d’abord celui des adultes qui l’entourent mais
aussi, par inévitables ricochets, de plus en plus le sien.
« Tête-Dure attend l’inattendu.
Il pense à contrecarrer le destin, mais il sent confusément que ce n’est pas bien, qu’il faut laisser le ruisseau couler dans son sens naturel. »
Il pense à contrecarrer le destin, mais il sent confusément que ce n’est pas bien, qu’il faut laisser le ruisseau couler dans son sens naturel. »
Sa famille n’est pas au mieux. Le monde non plus. À la radio, Kennedy
vient de rappeler que l’ultimatum fixé aux soviétiques pour qu’ils
évacuent les missiles installés à Cuba – et pointés sur la Floride –
expire demain. La situation énerve le père qui boit de la bière en
compagnie du voisin. Tous deux commentent l’état de la planète. Les
analyses volent à ras de terre. Tête-Dure en reçoit quelques bribes.
Ne comprend pas tout mais sent qu’il vaut mieux rester à l’écart. Garder
cette position de repli qui est habituellement la sienne, surtout quand
le père sort de ses gonds, ce qui lui arrive fréquemment. Ce jour-là,
après le départ du voisin, furieux du repas qui tarde à venir, il
s’excite, gueule, tourne comme un fauve dans la pièce et se met tout à
coup à frapper sa femme.
« Tête-Dure ne voit pas l’instant où la main de Papa touche Maman. Il
est incapable de dire à quel endroit elle a été touchée, mais il entend
un bruit sec et terrible. Un bruit terrifiant de joue qui claque.
Et lorsque Tête-Dure desserre les paupières, il constate que Maman est assise sur le balatum, la jupe remontée jusqu’en haut des cuisses, et qu’elle pleure. »
Et lorsque Tête-Dure desserre les paupières, il constate que Maman est assise sur le balatum, la jupe remontée jusqu’en haut des cuisses, et qu’elle pleure. »
C’est un microcosme en proie à de multiples déconvenues humaines et
sociales, avec au centre des individus aux nerfs à fleur de peau qui
dérapent à tour de rôle, faisant parfois valoir leur force physique, que
Francesco Pittau
ausculte dans un roman où la narration ramassée et les dialogues
incisifs sont très percutants. Ce monde, composé de gens venus
d’ailleurs (en l’occurrence d’Italie), est vu à travers le regard
atterré d’un enfant qui encaisse tout sans rien dire. Ce qu’il perçoit
de l’attitude des adultes (entre eux mais aussi à son égard) le
persuade de se maintenir en retrait. Devenir presque invisible, parler
le moins possible et avaler la boule qu’il a en travers de la gorge
sont quelques uns des actes de résistance qu’il s’impose pour pouvoir
continuer à rêver en gardant la tête hors de l’eau.
« Tête-Dure se rencogne dans le canapé. S’il le pouvait, il
s’enfoncerait dans l’épaisseur des coussins jusqu’à disparaître et se
mêler au rembourrage. »
Francesco Pittau : Tête-Dure, éditions Les Carnets du dessert de Lune.