Il y a parfois d’étranges concordances de dates entre débuts et fins de
vie et il arrive que tel ou tel mois porte en lui, pour certaines
familles, une sorte de malédiction qui se confirme au fil du temps. Ici,
c’est février qui se pare de noir. Et tout particulièrement deux de ses
jours. Le 19, jour de naissance et de mort de la grand-mère maternelle
et le 17, jour de l’enterrement du père (1987) et jour de naissance
(1951) et de mort (2009) de la mère. C’est elle que Gladys Brégeon
évoque. En s’arrêtant sur ce corps qui l’a vu naître et qu’elle a vu
vivre et s’agiter, puis dépérir, mourir et disparaître.
« Je me souviens de ses genoux
De ses chevilles
De la forme de son pied au repos
De son dos
Cette courbe que j’ai massée
Sous laquelle tout la tuait
Sa douceur
Sa maigreur »
Elle note avec brièveté et précision les manques, les habitudes, les
moments de bien-être, les muscles tendus, détendus, la souplesse, la
vivacité, la respiration calme ou haletante, la subtile mécanique d’un
corps qui tourne rond avant de se dérégler, provoquant par là même un
autre déraillement, plus intérieur et profond, qui laisse les témoins
hagards et sans voix.
« Je ne comprends pas ce qu’elle me dit
Dieu
Des visites
Ma sœur
La sienne
Les prolongations
Dit-elle »
Il faut peu de mots, et peu de pages, à Gladys Brégeon
pour toucher de près le départ de celle qui s’éloigne du
« centre-vie ». Son livre, hommage - et tombeau - à « Celle d’où je
viens / Ma mère », est simple et concis. D’une grande sobriété. Et d’une
infinie délicatesse.
« Le corps
Qu’allons-nous faire sans le corps
Et avec
Qu’allons-nous faire du corps »
Gladys Brégeon : j’ai connu le corps de ma mère, éditions Isabelle Sauvage.