Ce sont ceux de la Ultième. Des féroces en quête d’adrénaline. Des
déclassés qui hurlent dans la nuit noire. Des types bien décidés à en
découdre. Ne demandent même que ça. Se battre, tuer, massacrer. Faire place
nette tout autour. Il y a là Rigodon, Septime Sévère, Hilaire, le frère
aumônier et beaucoup d’autres qui s’épuisent dans une guerre qui a des
allures de 14-18. Tous vivotent à l’arrière, mal en point, avec
croûtes, herpès, diarrhées. Pris dans le froid et la neige,
coincés dans des tranchées qui sentent la terre et le sang mêlés mais où
ils se préparent néanmoins à fêter Noël, le temps d’un bivouac
improvisé sous les bâches. Avec au menu une soupe brunâtre et un bout de
viande. Un morceau qui a du mal à se frayer un passage en eux tant il
leur rappelle les aboiements joyeux du chien Toto qu’ils sont tout
simplement en train de bouffer, noyant leur effroi à coups de grandes
goulées de schnaps.
L’infecte festin a pour effet de mettre instamment le feu à leurs
boyaux, l’incendie se propageant très vite à leur cerveau, enclenchant
une sorte de transe collective au cours de laquelle le seul officier qui
tente d’élever la voix a le son coupé net, sa gorge étant tranchée
en un quart de tour par la scie égoïne de Septime Sévère.
« Rigodon lançait les hip hip. Septime Sévère levait les bras. Ils le
nommèrent empereur. À présent qu’il était chef les choses allaient
changer. Les compagnies d’arrière-garde fusionnaient dans une division
qui montait à l’ennemi. La Ultième était en route vers la gueule du
diable. »
Après quoi, l’escouade zigzague à l’estime. Ils traversent des
paysages abrupts. Tuent en cours de route. Des enfants, des femmes, des
vieux qui s’étaient réfugiés dans une église pour tenter de sauver leur
peau. Le soir, ils posent leur corps déglingué n’importe où. Se
recroquevillent, dorment en grognant, ne rêvent pas beaucoup. Mieux vaut
ne pas se trouver sur leur passage. Ce sont des joueurs-tueurs. Des
types qui ont perdu toute humanité et qui suivent sans barguigner ce
chef qui coupe tout ce qui dépasse.
« Ici pas de plainte. Mais trouver les cancrelats au frais dans la
forêt, les enfumer. Détruire le nid. Pas de capture. Les faire crever. »
En à peine cent pages, en un texte tendu et ramassé, Nicole Caligaris
tape juste et fort. Elle décrit avec précision la horde funeste en
action, offrant au passage un terrible condensé de toutes les guerres
en un seul roman, son premier, réédité, vingt après sa première
publication, avec en prime douze dessins de Denis Poupeville,
à qui elle dédie d’ailleurs son livre, expliquant, en fin d’ouvrage,
comment il l’a aidé, grâce à de précédents travaux, découverts dans son
atelier au moment où la guerre faisait de nouveau des milliers de morts
en Europe (en Bosnie), à entreprendre l’écriture de La Scie patriotique.
« Ce qui a fait naître le texte et par quel mécanisme, je l’ignore.
J’ai classé les dessins, j’en ai formé une suite. Et ce qui s’est passé,
je suppose, c’est que j’ai changé de plan ce qu’ils représentaient.
Voilà comment j’ai déplacé ces figures de Denis dans mon castelet
littéraire. »
Nicole Caligaris : La Scie patriotique, dessins de Denis Poupeville, Le Nouvel Attila.
Nicole Caligaris : La Scie patriotique, dessins de Denis Poupeville, Le Nouvel Attila.
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