Les lieux que Jean-Paul Bota affectionne tout particulièrement sont
ceux qui l’incitent à partir sur les traces des artistes (peintres et
écrivains) qui l’ont précédé dans les rues, ports, quartiers, bars,
échoppes, impasses ou recoins urbains qu’il visite, parfois quelques
siècles plus tard, en flâneur averti et pointilleux. Il se rend là où
ils ont vécus. Où ils ont exploré une partie de leur monde intérieur et
extérieur. Où ils ont fait œuvre, se mêlant aux autres, scrutant la
ville, les hommes, leurs habitudes, leur détresse, leur faiblesse, pris
dans les soubresauts de l’histoire ou postés seul face au paysage, aux
vents, à la brume, dans la grisaille, sous la pluie ou au soleil, de
jour comme de nuit. Il se rend également là où perdurent les preuves
irréfutables de leur passage sur terre : dans les livres et dans les
musées, ses autres lieux de prédilection.
On le retrouve ainsi à Londres, à la Tate Britain, carnet et stylo à
la main, en train de questionner Turner qui le fascine, et qui fut
lui-même, sa vie durant, fasciné par la force des éléments, leurs
déchaînements, les coups de vent, les ciels en charpie, les mâchoires
de l’océan mordant la coque d’un cargo. Il fixe Tempête de neige. Se souvient de la légende qui dit
« que Turner aurait lui-même affronté la tempête et conçu le tableau
accroché tel Ulysse à l’affront des sirènes solidement au mât d’un
bateau par des marins comme il l’a plus tard raconté ».
Ensuite, passé le concert des klaxons, longeant des murs sombres, il
fait un détour vers le vieux cimetière où repose Constable. Il revoit
ses paysages, ses orages, ses moulins, ses arc-en-ciels, repère des
parentés stylistiques avec Rubens ou Monet. Poursuit ses pérégrinations
jusqu’au British Museum. Insatiable, il interroge, note, capte des
détails, sait que toute œuvre dissimule des secrets qu’un œil, même
avisé, ne capte que partiellement.
« Le moulin d’Hampstead Heath with a raimbow, descendant à
l’esprit le père de Constable un riche meunier qui répugnait à laisser
son fils s’embarquer dans une vie qu’il jugeait hasardeuse, ce pourquoi
Constable n’entamera qu’assez tard une carrière artistique. »
Laissant Londres derrière lui, l’auteur, scrutateur scrupuleux, nous
emmène à Lisbonne. Là-bas, c’est Pessoa qui le guide. Ses hétéronymes
sont également de la partie. Tous déambulent en ville. Et meurent le
même jour, dans la même chambre d’hôpital.
« Sa dernière phrase parlée Où sont mes lunettes ? »
L’écriture de Jean-Paul Bota est volontairement elliptique. Elle se
nourrit de notes, d’impressions, de suggestions, de bribes d’émotions,
de fragments de mémoire, de descriptions brèves et des citations glanées
çà et là qui s’enchâssent et attestent de son lent cheminement, de son
avancée par à-coups dans les pas des créateurs qui suscitent sa présence
sur place.
Après Lisbonne, il part à Nantes. La ville lui est familière. Elle
est extrêmement littéraire. Il la redécouvre à chaque visite. Relit les
écrivains qui ont sillonné ses rues. Se sont imprégnés de la douceur
ambiante et de l’invitation au voyage qui suinte des quais de Loire. Sa
bougeotte le mène ensuite à Vertou. Puis dans d’autres villes, d’autres
gares, d’autres musées, d’autres livres. On le quitte à Chartes, "Chemin
de Mémoire", à proximité de la gare, où il continue de dialoguer avec
ceux qui ne sont plus mais dont il sait qu’ils ont encore beaucoup à
dévoiler et à transmettre.
Jean-Paul Bota : Lieux, éditions Tarabuste.