Quand il voyage, faisant halte à tel ou tel endroit, Pascal Commère sait
se montrer réceptif à ce qu’il découvre, à ce qui aimante son regard, à
ce qui l’amène, presque instinctivement, à sonder la vitalité des
lieux qu’il arpente ensuite à son rythme. Au début du livre, il est à
Stockholm, y croise des silhouettes, buveurs, promeneurs qui
apparaissent fugitivement dans un long poème tissé de nombreux détails,
donnant corps à un moment de vie passé dans une ville trempée par la
colère du ciel.
« Je me souviens de la flotte, comment dire ça
on patauge, ou s’il faut une fois pour toutes
se résigner à l’écart, au repli, regarder tomber
la pluie, elle tambourine, rebondit, ici comme
partout ailleurs, a-t-on jamais vu ciel déchaîné
de la sorte, est-ce qu’on savait ce pour quoi
on était là au juste, visite à une amie peut-être, »
Un peu plus tard, c’est à Venise qu’il se pose après avoir voyagé en
train, c’est là-bas qu’il prend ses marques, annote ses promenades,
saisit un rai de lumière, une séquence particulière, une eau gondolée
par la brise dans la lagune. Il se remémore un précédent séjour,
feuillette sa mémoire et ajuste, fragments après fragments, avec en
contrepoint un peu de doute et d’incertitude, sa vision de la ville.
« Qui revient sur ses pas est-il le même, un autre ?
Ou si, voisin des ombres, incertain
quant à l’opportunité d’un retour, il n’en peut s’approcher
sans y croiser la sienne ? »
Partout où il va, et bientôt ce sera à Berlin, le recours aux poèmes
lui est nécessaire. Encore lui faut-il, et il s’y attache, les ciseler
au mieux pour rendre palpable et visible des scènes brèves, les
éléments d’un décor, des rencontres fortuites ou prévues, pour revenir
également, par incises discrètes, sur l’Histoire récente de ces villes
et pour dire enfin ce qu’il éprouve, ce qui lui reste parfois
mystérieux, ce qui le motive.
« Tout un temps j’ai projeté d’écrire un poème sur Berlin,
tout autrement que ça je présume – mais sur
ne convient pas. Autour peut-être, au cœur. Bref,
qui aurait Berlin en son centre – ou pour but, je ne sais trop.
Le Mur, bien sûr.
Mais pas seulement – Berlin
deux syllabes quelque chose qui tient à une progression,
un aller-retour dirait-on, bruit sourd
dont la rumeur nous parvient encore aujourd’hui. »
L’hésitation est souvent présente dans la poésie de Pascal Commère.
Il questionne, revient sur ce qu’il vient de dire, le formule autrement,
se demande s’il a parlé juste. Cela est perceptible dans ses poèmes de
voyages mais également dans les textes issus de ses promenades en
terrain plus familier, dans les champs, les jardins, les chemins
buissonniers.
« Se peut-il, après tant d’allers et retours – tel le chien
truffe au sol sur un lacis de pistes, se peut-il
que tu fasses fausse route – et qu’en sais-tu, toi
qui en toute naïveté confonds dans un regard unique
le pan de ciel là-bas et la clairière ? »
Ces poèmes, courant sur une quinzaine d’années (pendant lesquelles
"Mère est morte"), conçus lors de séjours dans des villes européennes,
ne sont jamais porteurs de mélancolie. Pascal Commère, sans être
optimiste, garde l’espoir et fait en sorte de le transmettre à ceux, à
celles qui voudront bien le partager avec lui.
Pascal Commère : Garder la terre en joie, éditions Tarabuste.