Il m'a
fait signe dès son arrivée en Bretagne. C'était fin 1979, début
1980. Auparavant, il vivait en Provence. Il était peintre, potier, céramiste,
poète. Avait animé la revue Les Texticules du hasard et
publié plusieurs livres. Nous nous sommes rencontrés peu après.
Ce qui m'a tout de suite frappé, c'est le calme et la douceur qui
émanaient de lui. Il avait une voix chaude. Ce n'était pas un
grand bavard mais il parlait juste. Il s'exprimait en posant bien –
et simplement – sa pensée. Ce dont nous avons parlé, ce jour-là,
concernait, entre autres, son retour au pays. Il y a longtemps qu'il
y songeait (ou plutôt qu'ils y songeaient, lui et Ariane, sa
compagne) et l'un des éléments déclencheurs fut cette
effervescence artistique, portée par des voix nouvelles (Alan
Stivell, Dan Ar Bras, Kristen Noguès, Annkrist, Paol Keineg,
Kristian Keginer) et intensément dépoussiérantes, qui avait surgi en
Bretagne tout au long des années 1970 et qui, se mêlant à
d'autres, à peine plus anciennes, notamment celles de Danielle
Collobert, de Georges Perros (morts en 1978) et de Yves Elléouët
(décédé en 1975) faisaient sauter les cadenas et portaient leurs
chants intérieurs hors les murs. Les fenêtres s'ouvraient largement
et cela ne pouvait que lui plaire, à lui qui écrivait des poèmes
tournés vers le dehors, aptes à embarquer le visible et
l'invisible jusqu'en Orient, dans un road movie océanique
soutenu par des vents rageurs et des pensées sans frontières. Pour vivre pleinement cet élan créatif, il fallait s'y frotter,
retrouver ces lieux où vécurent ses ancêtres.
"J'habite une bête qui passe mon temps à s'échapper du maigre enclos de ma cervelle.
C'est la bête à Bon Dieu peut-être, noctambule insaisissable se plaisant à tirer son ombre dans les allées des cimetières ; chaque tombe y est une chambre d'hôtel de passe."
Concernant
la poésie, son regard, celui de quelqu'un qui venait d'arriver et
qui découvrait la réalité du terrain, était pertinent. Il y avait
de nombreux poètes mais chacun travaillait dans son coin, souvent
sans connaître les autres, sans les rencontrer et parfois même sans
les lire. La plupart étaient des êtres discrets qui appréciaient
la pénombre. Il voulait tenter de les réunir. Créer un espace
collectif pour donner à lire ces voix multiples. C'était la tâche
qu'il s'assignait. C'est pour cela qu'il m'avait contacté. Il avait
procédé de même avec bien d'autres auteurs. La revue Écriterres
est née de ces liens qu'il a patiemment tissés avec les uns et les
autres. Il la publia avec les moyens du bord, en donnant la parole à
celles et à ceux qu'il appréciait, d'ici ou d'ailleurs, peu
importe, dans un souci constant de qualité et d'ouverture. Il devint
peu à peu ce passeur qui manquait tant. Il inventait des
passerelles, faisait se rencontrer les poètes, les invitait chez
lui. Parfois, il s'entretenait avec eux sur Radio Braden où il anima
pendant plusieurs années une émission consacrée à la poésie. Il
était là pour faire lire et entendre les autres. Ne se mettait
jamais en avant.
" Nous
sommes mes amis des oiseaux
de
papier ! Ne nous demandez pas
de
traduire nos départs !"
Nous
nous sommes souvent rencontrés, la plupart du temps à
Plonéour-Lanvern, parfois en compagnie d'autres auteurs (Alain
Jégou, Michel Dugué, Jean-Louis Aven, François Rannou). On
s'arrêtait devant la pancarte « attention : chien
gentil » pour recevoir les jappements joyeux de celui-ci (et
parfois aussi ses pattes avant sur la poitrine) et on entrait. Nous
sommes très vite devenus amis et avons beaucoup échangé. L'image
que je garde de lui – outre la dernière, cet après-midi-là, il
neigeait, le feu rougeoyait dans la cheminée, il n'était pas en
forme et remontait sans cesse le col de son pull pour cacher son cou
décharné) est celle d'un homme lumineux, aimant l'ombre et le
soleil, vibrant avec Charlie Parker et Jack Kerouac, heureux dans son
atelier, mélancolique à ses heures, souvent hanté par la mort,
intrigué par les danses torrides des « dames d'os »
quand elles étaient en proie au démon de minuit et par les
facéties de l'Ankou local qui, caché derrière les pins parasols,
cessait d'aiguiser sa faux à chaque fois qu'il voyait quelqu'un
passer.
"À Tréguennec encore un jour
Planer comme une mouette ivre
Défoncée à l'embrun"
Secret
et habité, j'imagine qu'il doit encore percevoir, là où il est, à
Tréguennec ou ailleurs, par nuit de grands tumultes, quand le vent
fou décoiffe et jette aux talus les dernières bigoudènes, le
bruit des voitures qui circulent sur cette route qu'il évoquait
régulièrement, celle qui relie Audierne à Pont l'Abbé. S'il se
retourne vers le large, c'est sans doute la tunique multicolore de
Boudica qu'il aperçoit. Elle ferraille à cheval, et ce depuis l'an
60 de notre ère, contre les légions romaines tandis qu'au loin, du
côté de Douarnenez, ce ne sont plus les cloches d'une ville
engloutie qu'il entend mais le ronronnement de la moto de Georges
Perros qui rentre paisiblement au bercail, ralentissant puis coupant
le moteur avant de passer la grille du cimetière de Tréboul.
Paul
Quéré : Suite bigoudène effilochée, éditions Sauvages, 2016, Poèmes Celtaoïstes, éditions Sauvages, 2014
Livres
autour de Paul Quéré : L’œuvre peint, éditions Apogée, 2000, A l'horizon des terres infinies (variations sur
Paul Quéré), ouvrage collectif, par Marie-Josée Christien,
éditions Sauvages, 2019.
Cette évocation de Paul est d'une grande justesse. Une belle invitation à le lire ou à le relire en ces mois noirs.
RépondreSupprimerMarie-Josée Christien