dimanche 10 novembre 2019

En souvenir de Paul Quéré (1931-1993)

Il m'a fait signe dès son arrivée en Bretagne. C'était fin 1979, début 1980. Auparavant, il vivait en Provence. Il était peintre, potier, céramiste, poète. Avait animé la revue Les Texticules du hasard et publié plusieurs livres. Nous nous sommes rencontrés peu après. Ce qui m'a tout de suite frappé, c'est le calme et la douceur qui émanaient de lui. Il avait une voix chaude. Ce n'était pas un grand bavard mais il parlait juste. Il s'exprimait en posant bien – et simplement – sa pensée. Ce dont nous avons parlé, ce jour-là, concernait, entre autres, son retour au pays. Il y a longtemps qu'il y songeait (ou plutôt qu'ils y songeaient, lui et Ariane, sa compagne) et l'un des éléments déclencheurs fut cette effervescence artistique, portée par des voix nouvelles (Alan Stivell, Dan Ar Bras, Kristen Noguès, Annkrist, Paol Keineg, Kristian Keginer) et intensément dépoussiérantes, qui avait surgi en Bretagne tout au long des années 1970 et qui, se mêlant à d'autres, à peine plus anciennes, notamment celles de Danielle Collobert, de Georges Perros (morts en 1978) et de Yves Elléouët (décédé en 1975) faisaient sauter les cadenas et portaient leurs chants intérieurs hors les murs. Les fenêtres s'ouvraient largement et cela ne pouvait que lui plaire, à lui qui écrivait des poèmes tournés vers le dehors, aptes à embarquer le visible et l'invisible jusqu'en Orient, dans un road movie océanique soutenu par des vents rageurs et des pensées sans frontières.  Pour vivre pleinement cet élan créatif, il fallait s'y frotter, retrouver ces lieux où vécurent ses ancêtres. 

"J'habite une bête qui passe mon temps à s'échapper du maigre enclos de ma cervelle.

C'est la bête à Bon Dieu peut-être, noctambule insaisissable se plaisant à tirer son ombre dans les allées des cimetières ; chaque tombe y est une chambre d'hôtel de passe."

Concernant la poésie, son regard, celui de quelqu'un qui venait d'arriver et qui découvrait la réalité du terrain, était pertinent. Il y avait de nombreux poètes mais chacun travaillait dans son coin, souvent sans connaître les autres, sans les rencontrer et parfois même sans les lire. La plupart étaient des êtres discrets qui appréciaient la pénombre. Il voulait tenter de les réunir. Créer un espace collectif pour donner à lire ces voix multiples. C'était la tâche qu'il s'assignait. C'est pour cela qu'il m'avait contacté. Il avait procédé de même avec bien d'autres auteurs. La revue Écriterres est née de ces liens qu'il a patiemment tissés avec les uns et les autres. Il la publia avec les moyens du bord, en donnant la parole à celles et à ceux qu'il appréciait, d'ici ou d'ailleurs, peu importe, dans un souci constant de qualité et d'ouverture. Il devint peu à peu ce passeur qui manquait tant. Il inventait des passerelles, faisait se rencontrer les poètes, les invitait chez lui. Parfois, il s'entretenait avec eux sur Radio Braden où il anima pendant plusieurs années une émission consacrée à la poésie. Il était là pour faire lire et entendre les autres. Ne se mettait jamais en avant.

" Nous sommes mes amis des oiseaux
de papier ! Ne nous demandez pas
de traduire nos départs !"

Nous nous sommes souvent rencontrés, la plupart du temps à Plonéour-Lanvern, parfois en compagnie d'autres auteurs (Alain Jégou, Michel Dugué, Jean-Louis Aven, François Rannou). On s'arrêtait devant la pancarte « attention : chien gentil » pour recevoir les jappements joyeux de celui-ci (et parfois aussi ses pattes avant sur la poitrine) et on entrait. Nous sommes très vite devenus amis et avons beaucoup échangé. L'image que je garde de lui – outre la dernière, cet après-midi-là, il neigeait, le feu rougeoyait dans la cheminée, il n'était pas en forme et remontait sans cesse le col de son pull pour cacher son cou décharné) est celle d'un homme lumineux, aimant l'ombre et le soleil, vibrant avec Charlie Parker et Jack Kerouac, heureux dans son atelier, mélancolique à ses heures, souvent hanté par la mort, intrigué par les danses torrides des « dames d'os » quand elles étaient en proie au démon de minuit et par les facéties de l'Ankou local qui, caché derrière les pins parasols, cessait d'aiguiser sa faux à chaque fois qu'il voyait quelqu'un passer. 

"À Tréguennec encore un jour
Planer comme une mouette ivre
Défoncée à l'embrun"

Secret et habité, j'imagine qu'il doit encore percevoir, là où il est, à Tréguennec ou ailleurs, par nuit de grands tumultes, quand le vent fou décoiffe et jette aux talus les dernières bigoudènes, le bruit des voitures qui circulent sur cette route qu'il évoquait régulièrement, celle qui relie Audierne à Pont l'Abbé. S'il se retourne vers le large, c'est sans doute la tunique multicolore de Boudica qu'il aperçoit. Elle ferraille à cheval, et ce depuis l'an 60 de notre ère, contre les légions romaines tandis qu'au loin, du côté de Douarnenez, ce ne sont plus les cloches d'une ville engloutie qu'il entend mais le ronronnement de la moto de Georges Perros qui rentre paisiblement au bercail, ralentissant puis coupant le moteur avant de passer la grille du cimetière de Tréboul.

Paul Quéré : Suite bigoudène effilochée, éditions Sauvages, 2016, Poèmes Celtaoïstes, éditions Sauvages, 2014

Livres autour de Paul Quéré : L’œuvre peint, éditions Apogée, 2000, A l'horizon des terres infinies (variations sur Paul Quéré), ouvrage collectif, par Marie-Josée Christien, éditions Sauvages, 2019.


1 commentaire:

  1. Cette évocation de Paul est d'une grande justesse. Une belle invitation à le lire ou à le relire en ces mois noirs.
    Marie-Josée Christien

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