Écrits lors d’un voyage au Brésil, les poèmes qui composent Compost
sont présentés ici en version bilingue, retrouvant (grâce à leur
traduction en portugais) la langue du pays qui les a vus naître. Ces
textes du dehors, extraits d’un carnet où faune et flore foisonnent,
disent l’auteur avançant dans des lieux qu’il découvre en ressentant des
émotions difficiles à contenir. Il choisit, pour ne pas se laisser
submerger par tant de vitalité et de luxuriance, de ne garder que les
séquences qu’il se sait capable de transmettre en modulant ce rythme
tendu et empreint de douceur qui semble être sa respiration naturelle.
Son poème se rapproche alors du chant, saisissant lumière, mobilité et
nuances alentour. Il concentre dans un même mouvement les paysages et
les êtres qui les traversent.
« Au son du pigment rouge sous nos sabots
je chevauche et nous allons au petit trot assis, escortés des verts perroquets aux ailes qui battent l’air de rien tandis qu’ils enjoignent de leurs cris entendus les arbres aux faîtes ployés de résister aux lourds becs de soleil couchant des toucans. »
je chevauche et nous allons au petit trot assis, escortés des verts perroquets aux ailes qui battent l’air de rien tandis qu’ils enjoignent de leurs cris entendus les arbres aux faîtes ployés de résister aux lourds becs de soleil couchant des toucans. »
À l’étonnement du regard répond la voix du regardé. Il y a là
mimétisme et intériorité, surprise et voile levé, songe et transfert de
ressenti. Parfois, un cheval mort se met à parler cependant qu’un homme
au loin (en Occident) vient de s’éteindre sans se douter qu’un autre,
« au sortir d’un rêve à Brasilia », malaxe un peu de terre parfumée pour
lui rendre hommage. En d’autres occasions, ce sont colibris ou
martin-pêcheurs qui s’expriment. Ou bien ce sont les crocodiles qui
gloussent et chuchotent, eux qui n’hésitent pas une seconde à loger
quelques éclats de soleil au creux de leurs pupilles.
« Tandis que le boto chasse en soufflant
dressé sur le sable des hauts-fonds
le soleil se loge sur l’Araguaia
dans les yeux des crocodiles
leurs braises balisant le fleuve de queimadas
d’une rive à l’autre où restent les oiseaux
blottis avec leurs noms propres depuis l’aube des temps. »
dressé sur le sable des hauts-fonds
le soleil se loge sur l’Araguaia
dans les yeux des crocodiles
leurs braises balisant le fleuve de queimadas
d’une rive à l’autre où restent les oiseaux
blottis avec leurs noms propres depuis l’aube des temps. »
L’homme, dont la présence dans un monde avant tout dédié aux animaux
(et surtout aux oiseaux) paraît souvent anachronique, ne peut subsister
sans l’appui et l’aide de ses congénères. Il lui faut un guide, un ami,
un capitaine. Stéphane Crémer note très subtilement ce qu’il doit à tous ceux qui l’accompagnent dans son périple.
« Le cahaça a plus d’une fois coulé entre les pins de glace pilés,
sur la peau de crapaud des citrons verts jusqu’au banc de sucre
au fond de nos verres à moutarde et nous avons honoré
l’amitié, sans autre diplôme que de force caipirinha à partager ! »
sur la peau de crapaud des citrons verts jusqu’au banc de sucre
au fond de nos verres à moutarde et nous avons honoré
l’amitié, sans autre diplôme que de force caipirinha à partager ! »
Il n’y a pas d’exotisme exagéré dans cet ensemble. Pas plus de
parcours fléchés et balisés. Mais des zigzags lumineux et restreints.
Par dizaines et dans le désordre pour mieux appréhender un pays qui ne
peut dévoiler qu’une part infime de ses présents à ce voyageur qui
surprend par l’acuité de son regard.
Stéphane Crémer : Compost / composto, traduits dans le portugais du Brésil par Leonardo Lacerda et Alain Mourot, préface de Gilles A. Tiberghien, éditions Isabelle Sauvage.
Stéphane Crémer : Compost / composto, traduits dans le portugais du Brésil par Leonardo Lacerda et Alain Mourot, préface de Gilles A. Tiberghien, éditions Isabelle Sauvage.