Pas facile de ranimer la flamme et de retrouver vivacité et fraîcheur
quand le corps et le psychisme décrochent en lâchant de plus en plus de
lest. Il faut, pour y parvenir, passer par différentes épreuves,
satisfaire à de curieux rituels et plonger parfois dans des zones noires
pour y repêcher quelques images macabres. Ainsi celle de ce petit
corps, celui d’un enfant, livré à la voracité des tourteaux au fond
d’un puits marin.
« Avec le flux et le reflux, des lambeaux de chair se décollaient des
flancs, ondulaient comme de blanches soles, puis recollaient lâchement
au corps. Accroupi et fouillant de mes mains dans le noir pour y trouver
l’appui ferme de la roche, je regardais tétanisé. »
Celui qui parle est un adulte qui « après trente ans d’excès et
d’épuisement » revient visiter les lieux où il passait jadis ses
vacances en compagnie de ses parents. Ce bref retour en arrière, et le
compte-rendu de ce qu’il avait vu alors, sont au centre de la première
des neuf nouvelles qui composent le recueil de Romain Verger. Y circule
un vertige qui ira crescendo de texte en texte. On glisse de
l’ordinaire à l’étrange puis de l’angoisse à l’effroi. Le basculement se
fait en quelques phrases. Et les personnages qui apparaissent, en proie
à la solitude et en quête d’une identité qui leur échappe, quittent à
tour de rôle le champ du réel pour arpenter celui du fantastique et de
l’imaginaire. Ils sont fascinants, déconnectés et diablement excessifs.
Ici un homme sort de sa torpeur, seul et exténué, après avoir vécu
une nuit d’ivresse et d’amour intense avec une inconnue au bord de
l’océan, là un être partage son quotidien avec une femme qui le
rafistole régulièrement sur la table de travail où elle fabrique des
bébés sur mesure qui sont ensuite vendus et livrés à domicile par la
poste, ailleurs un autre part à la rencontre des hommes-soleils au
Nouveau-Mexique.
« Dans ses rêves, Nel enfourchait un cheval écumant, fendait au galop
les steppes d’altitude, remontait les pentes rocailleuses des gorges
sous l’œil tutélaire de l’ibex, entre les roches constellées
d’hommes-soleils qu’il attrapait de son lasso et jetait dans le cercle
blanc de ses nuits. »
Ces nouvelles ont beau s’aventurer dans des lieux et registres
différents, elles n’en présentent pas moins de nombreux points communs.
À commencer par la mer, l’enfance, le passé, la folie, le rêve et le
corps. Le tout orchestré par l’écriture de Romain Verger.
Sa prose éclatante, dense et riche, est celle d’un styliste qui tient
son texte de façon imparable. Il y a chez lui une idée de la description
et une faculté à trouver des images rares qui ne laissent rien au
hasard. Tout est précis, millimétré, bien calé. Ce qui ne l’empêche pas
de laisser toute liberté à sa phrase. Qui peut, dès que le besoin s’en
fait sentir, se tendre, se resserrer ou (plus volontiers) s’étirer,
onduler, prendre de l’ampleur.
Romain Verger : Ravive, Éditions de l’Ogre.