Franck Venaille est mort le jeudi 23 août. Il laisse derrière lui une
œuvre poétique considérable, à coup sûr l’une des plus importantes des
cinquante dernières années.
« Cette poésie vient de loin, disait-il, d’une enfance jamais
acceptée qui n’en finit pas d’intervenir dans ma démarche, d’une pensée
souterraine qui se regarde dans le mirage de l’inconscient et de
l’éros ».
Né en 1936 à Paris, il a vécu toute son enfance dans le XIe
arrondissement, quartier qu’il aura longuement arpenté, saisissant au
vol une multitude de fragments de vie qui se mêlent à la sienne et que
l’on retrouve disséminés dans plusieurs de ses premiers recueils,
notamment dans Papiers d’identité (1966).
« Maintenant vous voici dans les rues avec vos petits seins
vos genoux
vos épaules
toutes choses qui tiennent dans le nid d’une main
très douces et pareilles à des galets millénaires
fruités par les tempêtes
témoins de la précarité, des saisons, de la mort
avec vos jambes semblables à des ailes
l’arc-en-ciel fabuleux de votre linge
la halte du ventre deviné
Jeunes femmes rencontrées que je ne connaîtrai pas
toute aventure vaine meurtrie
et vous me devez déjà tant de comptes. »
vos genoux
vos épaules
toutes choses qui tiennent dans le nid d’une main
très douces et pareilles à des galets millénaires
fruités par les tempêtes
témoins de la précarité, des saisons, de la mort
avec vos jambes semblables à des ailes
l’arc-en-ciel fabuleux de votre linge
la halte du ventre deviné
Jeunes femmes rencontrées que je ne connaîtrai pas
toute aventure vaine meurtrie
et vous me devez déjà tant de comptes. »
Écorché, passionné, en proie à de terribles angoisses, lui, le
« capitaine de l’angoisse ordinaire » n’aura jamais accepté tous ces
freins, ces empêchements sans réagir. Et réagissant, il les a ajustés à
sa langue, à sa voix, à ses mots, à son écriture pour mieux les cerner,
les comprendre, les dépasser.
« Les mots sont enfermés dans un ventre, bien au chaud, dans une
humidité protectrice. Mais certains d’entre eux étouffent et,
d’angoisse, se mettent à crier, à bouger, à donner des coups de pieds à
la mère poésie. Quand on la voit passer, ainsi, se tenant le ventre avec
les mains, on la plaint, on la respecte, mais elle dégoûte aussi un
peu. On lui foutrait bien des coups. On lui balancerait bien des
cailloux. Et puis, un jour, ça sort ! Les mots apparaissent. On les
agrippe et on les sort. » (entretien avec Dominique Labarrière, revue
Monsieur Bloom, n° 4/5 (Mai 1980).
Pudique, mélancolique, souvent ironique avec lui-même, Franck
Venaille aura fouillé au plus profond (au plus fragile, au plus tragique
aussi) de son être sans relâche. Avec rigueur et obstination, il a
convoqué ses blessures, ses deuils, ses failles originelles. Il les a
frottés à son imaginaire. Les a fait descendre l’Escaut en sa compagnie.
Les a emportés dans une Algérie en guerre qui les aura exacerbés plus
encore. Il les a promenés à Trieste et à Istanbul. Leur a donné à lire
et à décrypter les textes d’Umberto Saba, de Pierre Morhange, de
Pierre-Jean Jouve (il a consacré un essai à chacun d’entre eux) et à
écouter le galop effréné du cheval flamand qu’il devenait dès qu’il se
retrouvait en vue de cette mer du Nord qui jouait en lui comme un
aimant. Ce faisant, Il a donné naissance à un feu de braises
intemporel, bâtissant jour après jour, pendant plus d’un demi siècle,
une œuvre riche et dense.
« Je crois que toute écriture, fût-elle la plus saine, témoigne d’une
béance et s’en nourrit. Il reste le grand chagrin. C’est surtout lui
(est-ce une fleur vénéneuse ?) qui laisse le plus de traces sur
le mur du jardin où joue l’enfant, l’enfant qui vient de découvrir son
corps et en sera marqué pour la vie ». (entretien avec Hubert Lucot,
dans L’homme en guerre, Paroles d’aube, 1996).
Le meilleur hommage que l’on peut rendre à Franck Venaille est tout simplement de le lire. Ou de le relire. Son dernier livre, L’enfant rouge, paraît en ce début octobre au Mercure de France où ont été publiés ses plus récents ouvrages.
(Photo logo : D.R.)
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