Il parle à une quarantaine de personnes réunies dans la salle de lecture
de la maison de la poésie de Rennes. Visage détendu. Voix calme et
posée. Souad Labbize, sa traductrice le présente. Il vient de la
province de Babil, l’ancienne Babylone, au centre de l’Irak. Il est né à
la fin de la guerre Iran/Irak. Il s’exprime d’une voix douce. Il garde
la nostalgie de son enfance. S’y attache pour ne pas sombrer. Il vivait
alors avec sa mère et sa sœur. Il y avait des bêtes dehors. Des chèvres,
des moutons. Son père, soldat, s’absentait souvent. C’était avant la
mort du dictateur, avant la nouvelle guerre, avant qu’on ne pulvérise
maisons et immeubles, avant que les corps déchiquetés des victimes
(hommes, femmes, enfants, vieillards) ne soient abandonnés par dizaines
au bord des routes ou sur des trottoirs couverts de sang.
« La mort nous menace chaque jour
et jusqu’ici nous n’avons rien commencé
ainsi sommes-nous depuis l’enfance »
et jusqu’ici nous n’avons rien commencé
ainsi sommes-nous depuis l’enfance »
Il a un peu plus de trente ans. Au fond de lui, il se sent sali par
ce qu’il a vu et vécu et contaminé par ce que son pays est devenu. Un homme avec une mouche dans la bouche,
c’est lui et bien d’autres. Auparavant, elle s’est posée sur les morts
ou sur les joues grasses des tortionnaires. Elle s’est imbibée de
plèvre, de sueur, de sang séché.
« La poésie me permet de me sauver et d’essuyer, ne serait-ce qu’un
petit peu, le sang qui coule sur ma vie », précise-t-il. Il est
également performer au sein d’un collectif de poètes irakiens qui ont
décidé de résister en mettant en adéquation leurs mots et leurs actes.
Leurs lectures ont lieu en public ou sont filmées là où la mort a
frappé. Près des champs de mines, au milieu des voitures piégées ou
enfermés dans des cages reprises à Daesh. Ses textes sont percutants,
assez courts, parfois teintés d’humour noir.
« Les assassins ont
des enfants qui ont besoin de se promener
des amantes qui les attendent
des rendez-vous avec leurs amis
des jardins qui requièrent davantage de soins
des rêves ignorant tout de la fatigue des pieds
ils sont très occupés
c’est pourquoi nous devons mourir facilement
mourir en évitant de les retarder »
des enfants qui ont besoin de se promener
des amantes qui les attendent
des rendez-vous avec leurs amis
des jardins qui requièrent davantage de soins
des rêves ignorant tout de la fatigue des pieds
ils sont très occupés
c’est pourquoi nous devons mourir facilement
mourir en évitant de les retarder »
Il dit ne pas accepter de voir un être humain mourir autrement que
de mort naturelle. Cherche des forces pour surmonter ce qu’il voit au
quotidien et pour l’écrire sans avoir recours à la violence verbale ou à
la simple dénonciation de rigueur. Il manie un réalisme subtil. Qui
peut être cru tout en étant teinté d’ironie et d’étrangeté. Il tisse une
âpre succession de scènes, d’images, d’impressions saisies sur le vif
sans jamais tirer sur le pathos.
Ali Thareb : Un homme avec une mouche dans la bouche, traduit par Souad Labbize, éditions des Lisières
On peut voir et entendre Ali Thareb lisant ses poèmes sur le site Tapin 2
On peut voir et entendre Ali Thareb lisant ses poèmes sur le site Tapin 2