La vie n’est pas simple sur les hauts plateaux. Le feu et l’eau
s’affrontent. Et parfois brûle au milieu un être dont il faudra
récupérer les cendres au plus vite. Le vent souffle fort. Il s’engouffre
dans les têtes. Il y a de l’agitation dans l’air et du remue-ménage
dans les couples. Ceux-ci se forment et se défont selon d’étranges
tribulations et combinaisons qui visent à susciter des rencontres
définitives entre deux personnes (peu importe leur sexe) qui semblent
devoir s’accorder et dont on se demande bien pourquoi ils ne sont pas
déjà ensemble. De telles modifications dans les habitudes des uns et des
autres se préparent ardemment et demandent toujours quelques petits
aménagements préalables, d’autant que les habitants du lieu vivent
pratiquement tous deux par deux et qu’une place ne peut souvent se
libérer qu’avec la mort d’un personnage. Celle-ci coule d’ailleurs de
source. On meurt beaucoup sur les hauteurs. Rarement de vieillesse ou
de maladie mais plutôt de rire, de peur ou de faim. Ce n’est pas le
narrateur qui s’exprime en ouverture du livre qui dira le contraire.
« Comme c’était le dernier jour de ma vie, pendant que notre fils
déjà adolescent était à l’école, je suis allé à la pêche avec ma femme.
Elle avait pris sa retraite de la police pour l’occasion. Elle
enchaînait les belles prises pendant que je m’emmêlais dans ma ligne. »
Quand un narrateur quitte la scène, un autre (ou une autre) le
remplace au pied levé, pris lui (ou elle) aussi dans les innombrables
bizarreries et absurdités d’un quotidien qu’il faut, vaille que vaille,
assumer. En contournant la normalité et en respectant les nombreux
dysfonctionnements en cours.
« La maison, quant à elle, attendait que je m’approche – qui que je fusse – pour prendre sa place définitive au jardin. »
Philippe Annocque
aime chambouler les codes établis. Il s’en donne ici à cœur joie,
fonce, cavale, multiplie les prises, s’offre de précieux interludes et
repart de plus belle, à l’aventure, tenant son texte d’une main légère
en laissant ses personnages libres de mourir ou de renaître à leur
guise. Selon le bon vouloir de ceux qui s’amusent à les guider à
distance, sans doute des marionnettistes, illusionnistes et virtuoses en
train d’inventer, en compagnie de l’écrivain, des péripéties hautement
saisies et décalées.
Philippe Annocque : Vie des hauts plateaux, fiction assistée, éditions Louise Bottu.