dimanche 13 novembre 2016

Icare au labyrinthe

Juillet 2015. Une voiture roule sur les routes départementales qui sillonnent les puys d’Auvergne. Elle s’arrête fréquemment, sur le parking d’un restaurant ou d’un hôtel, avant de repartir à l’aventure, allant des monts du Forez aux plaines du Poitou, dans un "road movie" que le conducteur (et narrateur), écrivain à la cinquantaine bien entamée, souhaite libre et improvisé. Il voyage en compagnie d’une jeune femme, vingt ans tout au plus, qui semble bien réelle et délurée. Il ne l’a pourtant inventée que le mois précédent, alors qu’il était assis sur la banquette de moleskine d’une brasserie parisienne. Il l’a aussitôt prénommée Palombine, en hommage à Plombagine, "la fée du Condurango" qu’évoquait naguère Léon-Paul Fargues.

« Elle est Palombine, aérienne et claire, manifestement colombe à la ressemblance du Paraclet, si tant est qu’elle existe et ne se résout pas en une fiction de pure utilité romanesque, jeune fille censée m’accompagner dans mon périple et m’évitant le soliloque ».

Elle va devenir bien plus que cela, prenant rapidement toute sa place et donnant à l’écrivain, qui ressemble beaucoup à Lionel-Édouard Martin, quelques clés pour entrer dans ce monde actuel qu’il a quelque peu délaissé en s’arc-boutant sur un passé chargé de nostalgies. Elle l’appelle affectueusement Lio-Lio et lui assène, avec ses mots à elle, qui n’ont rien à voir avec les siens, quelques vérités qui tournent plus autour du bon sens (qu’elle manie à la perfection) que de l’intellect (dont il a appris – et ça tombe bien – à se méfier).

Un jeu, teinté d’une sorte de légèreté, se met ainsi en place. Deux générations, deux façons d’être et d’appréhender la vie s’expriment sans vraiment s’affronter. Lionel-Édouard Martin conduit son récit à sa main, le frottant aux paysages, à l’étymologie des noms de lieux, aux plaisirs du palais et à certains faits rattachés à l’histoire des localités traversées. Il aime le passé sans être  de ceux qui prétendent que tout allait mieux avant. Sa Palombine est là pour le rabrouer s’il déraille. Ce qu’il ne fait pas. S’il lui arrive de se moquer de lui-même et de ses clins d’œil dans le rétroviseur (il revoit alors, pêle-mêle, en un éclair, un lapin éborgné pendu à l’envers, une vieille morte au bourg de Chailly, un couple d’escargots coïtant sur une berme détrempée) c’est pour mieux revenir au présent, s’y promenant avec, empilés dans sa besace, un tas de souvenirs et de livres qui l’ont fait grandir.

Les dialogues fusent. Qui rythment une narration bien moins désinvolte qu’il n’y paraît. L’écrivain la manie à la perfection. Il s’y montre à son aise, brouillant les pistes ou clarifiant les choses, selon l’envie ou la nécessité, ou selon l’interlocuteur qui lui fait face, tel cet imprimeur-éditeur au verbe maniéré qu’il visite en cours de route, ou ce concepteur d’événements culturels pour happy few qui l’invite à lire ses poèmes en public en région parisienne, là où va se terminer une balade qui semblait pourtant devoir se poursuivre longtemps encore. Il suffira d’une page, écrite au cœur d’une flaque rouge sang, au couteau sur un trottoir de banlieue , pour que tout s’écroule. Manière de clore un rêve qui n’a peut-être pas eu lieu. Et de dire adieu à un personnage qui disparaît brutalement, laissant une empreinte légère, une belle clarté, une joie de vivre, tant dans les mémoires que dans l’œuvre (forte) de celui qui, avant de nous réserver ce coup de massue, nous aura permis, une fois encore, de flâner à ses côtés sur les berges de la Gartempe, cette rivière qui coule souvent dans ses livres.

Lionel-Édouard Martin : Icare au labyrinthe, éditions du Sonneur.

samedi 5 novembre 2016

Canicule et vendetta

Thierry Renard se montre parfois mélancolique mais il n’a pas pour habitude de se plaindre. S’il a, comme tout le monde, en lui une part de souffrance, tristesse, déconvenues, il aime la garder secrète, à défaut la réduire en la glissant dans des textes plus sereins et plus sûrement encore la laisser s’atténuer en vivant résolument au présent. C’est sur ce versant-là que sa générosité, sa verve et son goût de l’autre s’expriment, sans pour autant s’empêcher de fréquents aller-retours en arrière, notamment du côté de ses lectures (Camus, Juliet, Grenier, Perros) ou de ses origines (père lyonnais, mère italienne).  
Canicule et Vendetta ne déroge pas à la règle. Ce livre, issu de carnets tenus lors d’un séjour en Corse, lui permet de prendre le pouls de l’île à sa façon : en se frottant aux paysages tout en s’imprégnant de la réalité locale. Il s’y sent bien, se pose, fait le point, revient sur son parcours d’auteur, d’acteur et d’éditeur (Paroles d’aube puis La Passe du vent). Pas de nostalgie dans ses propos. Pas d’amertume non plus. Sincère, écrit dans une prose simple, son récit est d’abord une invitation à le suivre. Il se montre tel qu’il est : direct, sensible, jouant à l’occasion au faux naïf, n’hésitant pas à sourire et à improviser quelques pirouettes (« malgré les échecs successifs ayant parsemé ma vie, toujours je me suis agité avec succès ») quand il évoque ses illusions perdues en cours de route.

 Thierry Renard : Canicule et Vendetta, éditions Le Bruit des autres.

Vient de paraître, du même auteur : Œuvres poétiques, tome 1, éditions La Rumeur libre. Ce volume regroupe sept titres (revus et corrigés) publiés par Thierry Renard entre 1993 et 2006. On y retrouve cette générosité, ce besoin de découvrir d'autres horizons  et cette façon de prendre le quotidien à bras le corps qui l'accompagnent en permanence.
"Il pratique la poésie du cœur à nu. Il ne tente pas de décrire ce qui le dépasse : il le tait de manière telle que cela donne à pressentir l'énigme", notre très justement Jean-Louis Roux.

mercredi 26 octobre 2016

Inévitables bifurcations

Il y a des années que Lambert Schlechter capte ce qu’il appelle le murmure du monde. Il en recueille les bruits, bruissements et bourdonnements et s’en fait l’écho en publiant régulièrement ses carnets de route et travaux d’inventaire. Le quatrième volume vient de paraître. Il rassemble, en paragraphes brefs, d’à peine une page et demie, des fragments qui touchent au présent ou au passé (plus ou moins lointain) et autour desquels sa pensée sautille. Elle bifurque, explore des chemins de traverse, mêle voyages, désirs, volupté, érudition, lectures en cours, bribes de mémoire, actualité, et s’arrange toujours pour retomber sur ses pieds à la fin de chaque paragraphe.

« encyclopédie permanente & portative que je construis par bribes & lambeaux, dilettantement, quelques zones du savoir où esquisser des jalons, alimenter mes hantises et mes fascinations »

Il vit au Luxembourg, passe l’été en Toscane, fait de fréquents séjours en France ou ailleurs (et pas seulement en Europe). Il réussit à se mouvoir dans chaque lieu avec le même plaisir, la même curiosité, la même envie de découvrir et de tisser les liens infimes (générés tant par la pensée que par le corps) qui vont l’aider à aimer, lire, voir, sentir et habiter l’endroit où il se trouve. Il veut vivre. Simplement mais avec intensité. Sans pour cela occulter les tueries et terreurs qui ont cours et se répètent de siècle en siècle de par le monde. Qui alors ne murmure plus mais hurle.

« des images passent dans ma tête, images de meurtre et de destruction, villageois qu’on rameute, alignés nus au bord d’une fosse, et qu’on fusille par familles entières, encore & toujours ces images viennent noircir la poésie »

Il passe subrepticement (un peu comme s’il s’agissait d’une conversation) d’un sujet à l’autre et y revient pour tenter de comprendre ce qu’il n’a, au départ, fait qu’effleurer. Il avance en butinant, par strates successives, doté d’une grande attention aux autres et mettant en permanence sa mémoire à l’épreuve, s’arrêtant furtivement sur les bons et mauvais moments de sa vie. La mort y est forcément présente. Son bel appétit de vivre ne peut suffire à l’éloigner. Elle touche ses contemporains. Il n’oublie pas de le noter. Revient sur celle de Raymond Carver au moment où il est en train de le lire. Puis sur celle de Mathieu Bénézet qui intervient pendant la rédaction de ce journal de bord qui couvre les années 2013 et 2014. Il reprend leurs livres. Tous vont continuer de l’accompagner.

« cet après-midi Jean-Claude Pirotte sera incinéré à Ciney, j’ai écrit un message à Alain Dantinne que je ne pourrai pas être là, les poètes s’en vont, après Alain Bertrand et Pierre Autin-Grenier, c’est maintenant Pirotte, j’aurai attendu en vain, après quelques mois, une dernière lettre, dans une enveloppe peinte à la gouache »

Lambert Schlechter relate également, comme dans tous ses livres, sa sexualité avec malice et bonne humeur. Il est souvent radieux. Jamais frustré. Ses yeux brillent. C’est un joueur et un jouisseur qui affiche son éclatante santé en toute décontraction. Il ose là où beaucoup d’autres s’autocensureraient. Et cela colle parfaitement à l’homme libre, humble et sincère qui nous adresse, une fois encore, ses si singulières et foisonnantes salutations.

Lambert Schlechter : Inévitables bifurcations, éditions Les doigts dans la prose.

mardi 18 octobre 2016

Que n'ai-je

Il note ce qui, dans le paysage, se donne à voir et dit l’émotion, la réflexion ou le souvenir que cela déclenche instantanément en lui. Ce sont la plupart du temps des réalités familières. Des choses anodines. Mais qui bougent et que son regard affûté saisit au vol. Il en fait son miel quotidien. Son matériau préféré est là, toujours à portée de vue, tout en n’étant visible que par intermittences. Ce sont, pêle-mêle, et entres autres, le point de l’aube, les derniers feux du jour, un tapis de feuilles mortes, les empreintes de roues d’un tracteur, l’oiseau de passage, l’avion qui laisse une traînée grise dans le ciel, etc.

Il choisit, à chaque fois, un angle d’attaque très précis. S’empare d’un détail. Qu’il va travailler en orfèvre pour parvenir, en un tour de passe-passe dont il a le secret, à le faire entrer dans une prose brève, subtile, concise.

« Le soleil va finir. Ce ciel qu’on crut transparent va tourner à l’ombre, à l’invisible. C’est la vie usée par les heures, les attentes. Trop d’encre maintenant, et l’on perd la face et la douceur du lavis. Seul le bord du lac est tiède encore des soleils perdus... »

Il ouvre en permanence des brèches dans ce qui paraît simple et évident. Et du coup, ça l’est beaucoup moins. Il y ajoute son grain de sel. Qu’il polit et qu’il glisse dans les rouages. Il sait qu’il est bon que le poème se mette parfois, lui aussi, à boiter. À l’image de la mémoire, du corps et du temps présent.

« Tombe le soir... L’esprit capitule. Récapitule. Tu ne verras plus tes fautes jusqu’à demain. Tout s’estompe, se dilue. Les arbres tiennent la toile de la tente. Je mets une petite laine pour me protéger des fraîcheurs de l’oubli. Même dans la chambre éclairée, la nuit m’absout. »

Jean-Claude Martin cerne ces instants fragiles qui, d’ordinaire, nous échappent. Il les fixe en de courtes séquences – qui sont autant de promenades intérieures – où il questionne à sa manière (autrement dit sans attendre de réponse) la teneur (bienfaits ou désagréments) de l’aube, de l’eau, de la neige, des ombres, des routes, du vent, du soir, de la nuit, en maintenant les êtres humains un peu en retrait.

Jean-Claude Martin : Que n’ai-je, Tarabuste éditeur.

lundi 10 octobre 2016

La pluie à la fenêtre du musée

Jean-Paul Bota est un flâneur un peu particulier. Il arpente – carnet de notes à la main – les musées comme d’autres les sous-bois et l’étonnant est que les premiers l’aident à retrouver assez souvent, et instantanément, la fraîcheur ou la pénombre des seconds. « Quelqu’un en moi s’éloigne », dit-il, quelqu’un qui profite sans doute d’une fenêtre entrouverte dans l’œuvre qui lui fait face pour se porter au dehors en un clin d’œil.

Il débute ses promenades improvisées par un éloge de la sieste, qu’il pratique tous sens en éveil, convoquant pour cela quelques tableaux qu’il garde gravés dans sa mémoire et qu’il se repasse pour l’occasion. Ce peut être un couple de paysans allongés près d’une meule (et surpris par Van Gogh, à Saint-Rémy, en mai 1890), ou une Femme étendue sous un arbre, peinte par Soutine, ou une autre, alanguie, vue par Matisse dans un intérieur à Collioure, ou certaines des siestes saisies par Bonnard, avec chaise longue et table garnie de sortie, ou encore celles, champêtres et apaisantes, sous les arbres, près des vaches, restituées par Courbet à la période des foins sur les hauts-plateaux du Doubs. À chaque fois, le temps se fige, les montres font relâche et l’écrivain poursuit sa route en se rendant en zigzag du côté de Montparnasse, de Pont-Aven, de Port Lligat ou de Lascaux.

Il circule à travers les siècles en changeant aisément de lieux et de saison. Et ce grâce aux artistes qu’il visite. À l’atelier ou au musée, sans oublier de brèves incursions dans leur vie secrète, le temps de ramener à la surface des anecdotes ou des éléments biographiques. Il s’étonne, s’exclame et ricoche d’une œuvre à l’autre sans en dire plus qu’il ne faut. Ses annotations restent concises. Il les aligne avec une vivacité fébrile, en une sorte de coq à l’âne qui bruisse de savoir et de curiosité. Cela donne un ouvrage très foisonnant. Ciselé par un auteur discret et généreux qui va chercher les pépites là où elles se nichent, sachant qu’il y trouvera également une part de lui-même, celle qui se cache entre enfance, imagination et mémoire des lieux habités.

Jean-Paul Bota : La pluie à la fenêtre du musée, dessins de Jacques Le Scanff, PROPOS2 éditions.

Logo : Henri Matisse, Intérieur à Collioure (La Sieste), 1905.

dimanche 2 octobre 2016

Chagrins d'argent

On dit de lui qu’il est le nerf de la guerre. Pour lui, on peut trimer, se vendre, tricher, trahir, voler, mendier, spéculer, licencier, mourir, tuer, etc. Lui, c’est l’argent, invisible, liquide et inodore, qui dicte à peu près toujours sa loi en modifiant aisément nombre de comportements. Isabelle Flaten le place au centre de son livre et montre, à travers une série de portraits et de mises en situation, les rapports particuliers que ses différents personnages entretiennent avec celui qui mène tout ce petit monde à la baguette.

« Depuis bien longtemps elle a compris qu’avec ou sans le sou ce n’était pas pareil, et elle a choisi d’être du bon côté des choses, là où tout va de soi ; il suffit d’allonger les billets et plus personne ne bouge, le souffle suspendu au froissement du papier vers le plaisir. »

Chacun des protagonistes de ce roman-gigogne est suivi sur un laps de temps assez court et en un épisode très significatif pour qu’on puisse déceler sa personnalité, percevoir son statut social et connaître la réaction qu’il adopte face à cet argent qu’il a, n’a pas, ou n’a plus. Quand un personnage disparaît, c’est après avoir été mis en relation plus ou moins fortuite avec un (ou une) autre qui va lui succéder, et ainsi de suite. Tous sont anonymes et certains (qui s’étaient éclipsés) réapparaissent parfois au détour d’une page. La plupart d’entre eux s’avèrent un rien déboussolés, perdus dans leur solitude, barrant comme ils peuvent, en cabotage intérieur, une existence en morceaux que l’argent ne peut pas vraiment réparer.

« Elle se met à rêver d’une vie où un sou serait un sou, et elle emportée dans la foule des sombres silhouettes qui à peine sorties de leur nuit écrasent le macadam pour aller gagner leur croûte d’un pas de plomb. Elle se voit déjà parmi eux, corsetée de partout, sans même l’espace d’une respiration, aspirée toute entière dans le grand tourbillon de la nécessité. »

Le sens de l’observation très aiguisé d’Isabelle Flaten est imparable. Rien ne lui échappe. Son écriture est fluide, dynamique et extrêmement visuelle. Elle vise au cœur de la cible en une succession de tableaux vifs, cruels et réalistes où banquière, clochard, joueur de poker, bourgeoise frivole et voleuse à la tire (pour n’en citer que quelques uns) tentent de colmater les brèches de vies qui toutes, semble-t-il, avec ou sans argent, prennent l’eau.

Isabelle Flaten : Chagrins d’argent, éditions Le Réalgar.

Isabelle Flaten vient de publier Lettre ouverte à un vieux crétin incapable d'écraser une limace, chez le même éditeur.

mardi 20 septembre 2016

76 clochards célestes ou presque

Kerouac les a croisés sur sa route, dans les bars ou dans les souterrains, chez le vieux Bill Gaines à Mexico ou dans le gourbi que louait Burroughs à Tanger. Il les a vus se perdre, se retrouver, se hisser sur les marche-pieds de la Southern Pacific ou grimper à l’arrière des camions de bestiaux qui sillonnaient certains des grands espaces du continent américain. Il était des leurs. Il les a côtoyés, les a aimés, écoutés et a même fini par leur consacrer un livre si tonique qu’il ne peut que donner envie au lecteur de se porter, illico, sur les traces de ces funambules qui ne tenaient pas en place.

Certains d’entre eux se retrouvent réunis dans la galerie de portraits des clochards célestes qu’a concoctée ces dernières années Thomas Vinau. La plupart passent à toute vitesse, le temps d’un portrait succinct mais assez ciselé et documenté pour bien saisir ce que fut leur vie. Ce sont des hobos, des irréguliers, des dissidents. Des habitués des bords de route. Qui écrivent, peignent, composent. Des êtres qui marchent à l’ombre et qui savent lire la très changeante carte du ciel. Beaucoup d’entre eux ont connu des destins terribles. L’issue fatale de vies cabossées mais pourtant menées tambour battant.

« Thierry Metz a été exclu de la vie par la souffrance. C’était pas un gringalet. D’abord, il a été poète. Non, manœuvre. Non, poète. Non, manœuvre. D’abord il a été poète et manœuvre. Il écrivait avec sa pioche. Une fois la sueur évaporée, l’encre disait la pierre. Et la main. Et le souffle. L’encre disait le rien. La bouteille et la trime. Le temps qui creuse les lombaires. »

« Roger Gilbert-Lecomte est mort seul, pauvre et camé jusqu’aux doigts de pied une nuit du 31 décembre. Son Monsieur Morphée est bien réédité. Dans un de ses poèmes, il écrit : "Je frappe de la tête en sang contre le ciel en creux / Au point de me trouver debout mais à l’envers". »

D’autres parviennent à déjouer les pièges et ne tirent leur révérence qu’à l’approche de leurs cent ans ou presque, tel Jules Mougin qui ne lâchera prise que poing levé face au ciel, histoire de préciser que la cavale et l’anarchie seront aussi de mise là-haut, dans ces contrées astrales où brillent, par intermittences, des étoiles filantes qui se nomment, pour n’en citer que quelques-unes, Jean-Claude Pirotte, Georges Perros, Pierre Autin-Grenier, Arthur Cravan, Jéhan-Rictus, Jack London, Billie Holiday, Elisabeth Cotten, Helno, Chet Baker, Richard Brautigan, Nicolas Bouvier...
Ce sont quelques-uns des phares de la constellation Vinau. Des balises qui aident à naviguer dans les nuits noires.

« De notre belle lignée de clochards célestes, je décide qu’il est le premier. Diogène le Cynique, le clochard-philosophe, ami des chiens et penseur-pervers-pépère du monde antique. Notre père à tous. Habitant de l’amphore et des rues de Sinope, d’Athènes et de Corinthe. L’homme qui n’avait besoin que d’une écuelle pour vivre, jusqu’au jour où il prit exemple sur un enfant pour jeter l’écuelle et boire avec ses mains. »


Thomas Vinau : 76 clochards célestes ou presque, préface et bibliographie déraisonnée d’Éric Poindron, éditions Le Castor Astral.

Du même auteur, vient de paraître, aux éditions Les Venterniers : Ferme ta gueule s’il te plaît, je suis en train de t’écrire un beau poème d’amour, 78 billets amoureux.